Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?

Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?
Aux Editions de l'Aube

23 décembre 2010

Je me souviens de 2010

Je me souviens que je me souvenais que 2009 n'avait pas été très différent de 2008.
Je me souviens d’un Président crispé dont la pensée se décalait par rapport au sens des mots de ses vœux qu’il récitait sur son prompteur et que j’ai oubliés.
Je me souviens que c’est à ce moment-là qu’il a fallu se mettre tout nu pour s’envoler vers l’Amérique.
Je me souviens des larmes de crocodile qui gouttaient sur la tombe de Philippe Seguin.
Je me souviens qu’un an après les émeutes de la désespérance en Outre-mer, rien n’avait vraiment changé.
Je me souviens que c’était l’hiver, qu’il faisait froid et qu’il neigeait.
Je me souviens de mon écœurement à propos du débat sur l’immigration ….nationale.
Je me souviens que le montant du grand emprunt égalait pile celui des actifs toxiques dévoilés par la Société Générale.
Je me souviens que Lionel Jospin voulait démontrer qu’il était un personnage historique.
Je ne me souviens plus du niveau du CAC 40 le mercredi 13 janvier à 14 H 42. Ni celui de la veille. Ni celui du lendemain.
Je me souviens qu'une catastrophique catastrophe dite naturelle s'est abattue sur le pays le plus pauvre du monde, vieille coutume de la double peine.
Dès que j’ai appris par la radio que J.D. Salinger était mort, je me souviens m’être précipité pour relire d’un trait ses nouvelles et qu’une grande tristesse a envahi mon cœur, que cet homme que je ne connaissais pas et qui ne me connaissait pas, avait attrapé.
Je me souviens avoir lu que les trente-huit premières banques américaines avaient versé 145 milliards de dollars de bonus. J’avais divisé ce nombre par le budget annuel de la lutte contre la faim dans le monde, ce qui faisait un paquet d’années.
Je me souviens que le pays qui fut le berceau de la civilisation occidentale avait failli faillir, attaqué par les mêmes traders qui l’avaient aidé à maquiller ses comptes.
…les mêmes traders, qui après avoir foutu la planète en l’air, avaient été sauvés par les mêmes Etats……Mafia blues
Je me souviens que la plus belle entreprise du monde, autrefois reine de la qualité et de l’innovation, avait perdu sa course aux coûts et aux volumes contre la mondialisation, pour qui même les géants japonais ont des pieds d’argile.
Je me souviens que pendant la même semaine de février, un séisme a frappé le Chili et un raz-de-marée le Poitou-Charentes. Un journaliste avait calculé le rapport entre les nombres de victimes.
Je me souviens qu’aux jeux olympiques d’hiver de Vancouver beaucoup d’athlètes français s’étaient cassé la figure.
On ne se souvenait plus de ce chanteur à la belle voix, à la belle moustache et à la belle gueule, grand échalas prénommé Jean dont le vrai nom était Tenenbaum. Je me souviens que mes parents l’aimaient beaucoup.
Je me souviens des élections régionales où les français avaient massivement voté à gauche et à la suite desquelles le Président avait mis la barre à droite toute.
Je me souviens avoir lu que les 25 premiers patrons de fonds spéculatifs américains avaient gagné chacun 1 milliard de dollars en 2009. Je me demandais ce qu’ils pouvaient faire de leur argent.
Je me souviens que le jour du passage à l’heure d’été, un publicité à la radio nous incitait à changer aussi de montre. Parfait extrait concentré de l’esprit du capitalisme.
Qui se souvient que le mardi 12 avril un tremblement de terre avait tué 2000 personnes au Tibet ?
Je me souviens du nuage de poussière craché par un petit volcan d’Islande, au nom imprononçable, qui a bloqué tout le trafic aérien d’Europe. Virus H1N1 ou microparticules, le monstre de la mondialisation est sensible à l’infiniment petit.
Je me souviens d’un printemps gris et froid.
Je me souviens que les politiciens de droite se sont précipités pour voter une loi concernant la tenue vestimentaire de 337 femmes en France.
Je me souviens qu’un ministre de l’intérieur et de tous les français s’était occupé personnellement du cas d’un homme, de confession musulmane, qui entretenait des relations avec plusieurs femmes, pour le déchoir de sa nationalité.
Je me souviens de mon écœurement lors de l’annonce de l’étendue des turpitudes de Goldman Sachs.
Je me souviens qu’un des pollueurs les plus riches du monde avait créé la plus grande marée noire des Etats-Unis et que ce sont les pauvres de Louisiane, encore eux, qui en profiteraient.
Qui se souvient que des mêmes marées noires polluent le delta du Niger depuis cinquante ans ?
Je me souviens du verdict de la justice indienne, 26 ans après la pire catastrophe écologique de l’histoire industrielle à Bhopal : 2100 dollars d’amende pour les anciens dirigeants d’Union Carbide. Pour 25 000 morts et 100 000 contaminés. Calculez le prix d’une vie humaine.
Je me souviens que les politiciens européens, bien au chaud dans leurs palais, discouraient, les sourcils froncés, sur les mots austérité et rigueur. Pour les autres. Surtout pour les plus pauvres.
Je me souviens que Denis Hopper était parti vers sa dernière chevauchée facile. So long friend, take care.
Je me souviens de l’attaque d'un cargo humanitaire à destination de la Palestine par un commando israélien dans les eaux internationales. Pour cause de « légitime défense ».
Je me souviens que le gouvernement avait décidé que les vieux resteraient 2 ans de plus au chômage non indemnisé avant de pouvoir prendre une retraite tronquée.
Je me souviens de cette vague de suicides chez un fabricant chinois de nos gadgets électroniques et de la réponse de la Direction : faire signer des décharges aux employés et placer des filets de sécurité.
Je me souviens que l’Etat britannique a consenti à s’excuser pour le massacre irlandais du Bloody Sunday. 38 ans et une enquête de 200 millions de livres pour reconnaître ce que tout le monde savait. Mieux vaut tard que jamais.
Je me souviens qu’un condamné à mort dans l’Utah a été fusillé. Un autre dans le Texas a été électrocuté 32 ans après son crime. Un autre a été tué avec un anesthésiant pour chiens. L’Amérique est un pays moderne.
Je me souviens du spectacle donné par le football français lors de la coupe du monde : fric, individualisme, incompétence, insultes. Reflet des effets de la mondialisation sur la société.
Je me souviens que le salaire du PDG de Renault-Nissan avait atteint 8 millions d’euros, soit 5 siècles de SMIC. Record à battre pour l’année prochaine.
Je me souviens du procès Kerviel et de sa vraie question : quelle est la part d’incompétence par rapport à la part de connivence du management de la Société Générale ?
Et je me souviens de la réponse donnée lors du jugement : « La banque n’est responsable de rien ». CQFD.
Je me souviens d’un ministre du budget dont la femme était chargée de gérer l’optimisation fiscale de milliardaires.
J’ai oublié le souvenir d’une Coupe du monde de football totalement inintéressante.
Je me souviens du gâteau écœurant de l’été, qui liait des ministres à la crème des milliardaires.
Je me souviens des beaux visages de Laurent Terzieff et de Bernard Giraudeau, désormais immortels.
Je me souviens que le sang noir a coulé longtemps dans le golfe du Mexique.
Je me souviens des belles performances de l’équipe de France aux championnats d’Europe d’athlétisme à Barcelone et aux championnats du monde de natation.
Qui se souviendra que 20 millions de pakistanais ont été frappés par des inondations catastrophiques ?
Je me souviens que le gouvernement de la France cherchait par tous les moyens à assimiler délinquance et étrangers.
Je me souviens de la chasse aux Roms. Et de la honte d’être français.
Je me souviens d’Alain Corneau. Quand je pense à lui, je me souviens aussi de Patrick Dewaere.
Je me souviens que Laurent Fignon s’est échappé.
Je me souviens que nous étions très nombreux à manifester le 24 juin, le 7 et le 23 septembre, le 2, le 12, le 16, le 19 octobre et le 28 octobre, et le 6 novembre. Avec la joie de partager notre colère.
Je me souviens que Claude Chabrol est mort et que c’était un bon vivant.
Je me souviens qu’Arthur Pen, Blake Edwards et Toni Curtis avaient fait partie de ma jeunesse.
Je me souviens que le beau Danube bleu était devenu tout rouge.
Je me souviens que le Prix Nobel de la Paix croupissait dans un cachot chinois.
Je ne me souviens pas des noms des 33 mineurs chiliens prisonniers de la terre, mais de la médiatisation de leur sauvetage.
Je me souviens que la pénurie d’essence d’octobre nous avait rappelé notre addiction à cette drogue.
Je me souviens que la stupidité et l’égoïsme avaient gagné les élections de mi-mandat américaines.
Je me souviens de la double peine pour Haïti : après le tremblement, la stupeur du cholera.
Je me souviens de la libération de Aung San Suu Kyi, lumière d’espoir dans ce triste ciel d’automne.
Je me souviens que les journalistes du Figaro ne s’étaient pas fait voler leurs ordinateurs.
Je me souviens d’un remaniement ministériel qui s’appelait : «On prend les mêmes et on recommence».
Qui se souviendra qu’une bousculade géante sur un pont du Cambodge avait fait 350 morts, au cours de la fête de l’eau ?
Je me souviens qu’il aura fallu plus de 15 ans et des milliers de morts pour qu’on empêche le Mediator de tuer.
Je me souviens que les irlandais ont été essorés pour renflouer les banques qui les avaient essorés.
Je me souviens que le rêve Obama s’ébréchait.
Je me souviens que Mario Monicelli s’est défenestré à 95 ans, atteint d’un cancer en phase terminale. Il faisait partie de Mes chers amis.
Je me souviens que le froid et la neige de l’hiver étaient arrivés trop tôt.
Je me souviens que Pompéi avait résisté à 2000 ans d’histoire mais pas à 10 ans de Berlusconi.
Je me souviens que Coluche était devenu le restaurateur préféré des français.
Je me souviens de ceux qui criaient à « l’irresponsabilité » et à la «dictature de la transparence» (sic) à propos de Wikileaks, avant de rajouter dans la même phrase : « de toutes façons, on n’y apprend rien qu’on ne sache déjà ».
Je me souviens que le pays des éléphants avait décidément du mal à entrer dans la démocratie. Comme celui des pharaons. La perle des Antilles également. La Biélorussie aussi.
Je me souviens que 71 % des français ne faisaient pas confiance au Président de leur République.
Je me souviens que le King Eric Le Rouge avait fait tremblé les filets des gardiens du temple de la haute finance.
Je me souviens que les 11 cm de neige du 8 décembre en Ile-de-France étaient néolibéraux : des tonnes d'essence gaspillées dans les embouteillages monstres, des tôles froissées, des dépenses de santé pour réparer les poignets cassés suite aux chutes des piétons... ..c'est la croissance du PIB 2010 qui va se régaler !
Je me souviens que les négociateurs du climat à Cancun avaient décidé qu’ils décideraient plus tard.
Je me souviens que des policiers en tenue avaient manifesté contre une décision de justice, soutenus par le Ministre de l’intérieur.
Je me souviens que le mot responsabilité était souvent employé. « Wikileaks est irresponsable », criait le pouvoir diplomatique. « Cantona est irresponsable » s'offusquait le pouvoir économique. « Ce sont les pentes des rues et la météo qui sont responsables de la pagaille sur les routes », affirmaient les pouvoirs publics. « La justice est irresponsable », s'égosillaient les policiers en tenue. Ce sont toujours les autres qui sont responsables de ce qui ne nous plaît pas.
Je me souviens que les banques n’avaient jamais autant prospéré. Au tour des banques alimentaires maintenant.
Je me souviens que la fortune de l’homme le plus riche de France, Bernard Arnault, s’était accrue de 11,5 milliards d’euros.
Je me souviens que, face à la pagaille sur les routes enneigées, les pouvoirs publics avaient parfaitement réagi : le Ministre de l'intérieur avait décidé "de ne pas verbaliser les automobilistes qui avaient abandonné leurs véhicules sur la chaussée" et le Ministre des transports avait adressé "un message de compassion aux victimes de intempéries".
Je me souviens que les patrons du CAC 40 avaient gagné en moyenne 190 fois le SMIC.
Je me souviens que l’année 2010 avait été décrétée « Année européenne de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale ».
Je me souviens qu’il y a eu 46 exécutions capitales aux Etats-Unis.
Je me souviens que je ne comprenais toujours pas pourquoi les italiens maintenaient Berlusconi au pouvoir.
Je me souviens que les prêtres pédophiles étaient couverts par l’Eglise.
Je me souviens que les contribuables européens avait apporté 4 589 milliards d’euros aux banques depuis le début de la crise.
Je me souviens d’un ministre de l’intérieur condamné deux fois par la justice française.
Je me souviens que les Etats européens se mettaient à genoux devant les spéculateurs.
J’arrive maintenant à me souvenir des noms des deux journalistes de France 3, retenus prisonniers en Afghanistan, depuis plus d’un an : Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier.
Je me souviens du sourire de cette femme, à la station Javel.
Je me souviens que 2010 aurait pu être meilleure. Ou pire.

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