Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?

Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?
Aux Editions de l'Aube

30 avril 2009

Le prix à payer

Comme prévu par le Grenelle de l’environnement, les pouvoirs publics et les acteurs de la société civile s’apprêtent à travailler ensemble sur le sujet de la « contribution climat-énergie ».
Une partie du secteur industriel est déjà soumis au marché dit « cap & trade » de quotas de CO2, alors que le reste et le secteur dit « diffus » (l’essentiel des émissions) y échappent.
Partisans des quotas et défenseurs de la taxe carbone vont s’affronter. Quelles que soient les modalités qui seront éventuellement retenues (de leur côté, les Etats-Unis vont, semble-t-il, opter pour les quotas), il conviendra qu’elles s’appuient sur des principes directeurs et une gouvernance. Je propose 8 piliers pour une sagesse carbone.

1er principe, d’équilibre : aucun marché ne peut, à lui seul, internaliser spontanément les coûts des externalités négatives (ni d’ailleurs les bénéfices des externalités positives). Les instruments économiques actuels ne savent pas travailler automatiquement de façon optimale pour le bien public : étroitesse et cloisonnement des marchés de permis, hétérogénéité des incitations fiscales, trop forte sensibilité aux cycles économiques et aux différentiels de rythme entre les économies des 3 pôles (OCDE, BRIC, PED), divergences des intérêts nationaux et corporatistes, contre-productivité des effets des lobbies industriels et des positions oligopolistiques, coûts très élevés des transactions de marchés et de la bureaucratie (particulièrement au démarrage compte tenu de la faiblesse des volumes), effets d’aubaine, mouvements spéculatifs, manipulations de cours voire corruption des autorités…
Ce qui est vrai pour le marché l’est aussi pour le progrès technique. Il n’y a aucune raison pour que l’innovation technologique soit - du point de vue du climat - intrinsèquement « vertueuse » (le summum du progrès humain de notre civilisation de l’automobile ayant consisté à faire acheter des 4X4 à des citadins).
D’une manière ou d’une autre, et sans prononcer le gros mot d’économie administrée, l’intervention coordonnée des Etats éclairés est donc indispensable pour fournir le signal-prix dont les acteurs économiques ont besoin.

2ème principe, de cohérence : le nouveau dispositif doit s’intégrer harmonieusement dans un paysage déjà diversifié (voire confus) où de multiples instruments économiques incitent (plus ou moins efficacement) aux énergies renouvelables et aux technologies propres (tarifs de rachat de l’électricité verte, certificats verts, certificats d’économie d’énergie, TVA différenciée, bonus-malus…). Sans créer de distorsions (pas besoin de nouveaux paradis fiscaux verts…) et sans nous faire oublier l’objectif prioritaire de l’amélioration de l’efficacité énergétique, pour laquelle la réglementation, in fine, reste indispensable (personne ne s’interroge sur la valeur d’une molécule de CFC, désormais interdite). Dans tous les cas, un mécanisme d’ajustement aux frontières pour inclure le carbone importé devra être pris en considération, afin d’éviter les distorsions de concurrence internationale.

3ème principe, de lisibilité, progressivité et prédictibilité : le taux du Livret A est fixé par une formule mathématique (même si l’Etat, dans sa grande sagesse, peut y déroger dans l’intérêt général). La valeur carbone est liée aux objectifs globaux de réduction que les pays doivent se fixer, aujourd’hui une division par 2, au moins, des émissions mondiales de CO2 en 2050. Mais aussi à la pente de la courbe, car plus on tarde à agir plus on accroît le surcoût pour demain. La formule de prix doit intégrer (i) les évolutions des prix des énergies fossiles en les contrebalançant (sur le long terme, ils ne peuvent qu’augmenter, de par la diminution programmée de l’offre), avec un amortisseur de chocs (ii) un coefficient de progression dans le temps et selon les quantités (iii) un taux d’actualisation qui prennent en compte un degré de qualité de vie acceptable pour les générations futures.

4ème principe, d’efficacité : mieux vaut inciter l’amont (upstream), c’est-à-dire les producteurs, s’ils ont la possibilité de faire évoluer leur outil de travail et de faire jouer la concurrence verte entre leurs fournisseurs, sachant qu’une partie des coûts seulement sera répercutée sur l’acheteur final (effets de la concurrence et de l’innovation), que l’aval (downstream), c’est à dire le consommateur, lorsque celui-ci ne peut faire jouer les effets de substitution, à prix équivalent, s’il n’a pas le choix ou si son pouvoir d’achat ne lui permet aucune marge de manœuvre. A moins qu’un mécanisme redistributif équitable ne soit efficacement mis en place.

5ème principe, de redistribution : les sommes collectées (via la taxe ou via le revenu des enchères de 100 % des quotas ) doivent être réinjectées dans l’économie de l’environnement (et non se substituer budgétairement à une autre taxe, comme la taxe professionnelle), que ce soit directement, en les redistribuant équitablement à chaque citoyen (pour éviter les effets d’éviction sociale), ou indirectement, en subventionnant la recherche, l’innovation et les investissements dans les énergies sans carbone et la maîtrise de l’efficacité énergétique, à due proportion des efforts et résultats des acteurs vertueux.

6ème principe, d’universalité : 1 tonne de carbone ayant le même impact sur le climat, d’où qu’elle soit émise et par n’importe qui, le prix doit s’appliquer de façon homogène à l’ensemble des catégories d’acteurs et à l’ensemble des acteurs dans chaque catégorie. Le carbone est une monnaie, la monnaie doit être fongible et universelle (one dollar is one dollar). Certes, les coûts marginaux de réduction des émissions sont variables en fonction des secteurs de l’économie. Mais d’abord, personne n’oblige les entrepreneurs à rester faire carrière dans la fabrication de rejets toxiques. Les ruptures technologiques les forcent régulièrement à se reconvertir (qui pleure encore le sort des fabricants de calèches ?), pourquoi pas les ruptures écologiques ? Ensuite, un cloisonnement du dispositif par secteur limiterait la fluidité et l’efficacité des effets de masse du marché. Enfin, prétendre que réduire ses émissions serait forcément toujours coûteux est erroné. Au contraire, dans bien des cas, réduire ses consommations, transformer son business mix pour proposer des produits décarbonés sur des nouveaux marchés, ou mieux, passer du cycle rigide et coûteux ‘extraction-fabrication-transport-distribution-consommation-destruction’ à une économie de fonctionnalité circulaire, basée sur l’usage et des nouveaux services, est économiquement avantageux.

7ème principe, de réalité et adaptabilité : si la formule mathématique de fixation du prix du carbone doit être connue de tous les acteurs, le régulateur doit prévoir, à échéances régulières, d’en actualiser les paramètres, en fonction notamment de l’avancée des sciences et d’une meilleure connaissance des coûts (des préjudices et de leur réduction). Les phénomènes climatiques ne sont pas linéaires (ce qui est difficile à appréhender pour l’esprit humain), mais sujets à emballement une fois dépassés les seuils critiques. Lorsque les conséquences risquent l’irréversibilité, le principe de précaution doit se retrouver dans les chiffres.

8ème principe, de gouvernance (qui nous ramène au 1er) : le carbone est une nouvelle monnaie, toute monnaie doit être gérée par une Banque Centrale éclairée, chargée, en jouant sur la masse monétaire en circulation, de contribuer à une répartition équitable des effets de richesse entre les acteurs et dans le sens de l’intérêt général. Les partisans de la thèse du prix plafond ne manqueront pas de lui donner le droit de fixer des limites, comme le taux de l’usure, la vente à perte ou la vitesse sur les routes. Le principe s’applique aussi si c’est la taxe qui est choisie, le gouverneur, appelons-le OMC (Organisation Mondiale du Carbone), étant chargé de répartir équitablement le produit de la taxe entre les pays. A l’heure où les paradis fiscaux semblent disparaître, si on rêvait à une première harmonisation fiscale mondiale pour la survie de l’humanité ?

Même si les scientifiques n’osent pas encore affirmer publiquement que le seuil fatidique des 2 degrés d’accroissement de la température moyenne sera dépassé, tous les voyants sont dans le rouge. Le changement climatique qui s’annonce risque d’affecter voire de détruire des millions de vies humaines. Il reste un prix que ce propos se refuse à chiffrer : quel est le prix d’une vie humaine ?