Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?

Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?
Aux Editions de l'Aube

30 décembre 2009

On n'a encore rien vu

Tout économiste qui prétend être capable de vous donner une date pour la reprise de l’économie mondiale est soit un incompétent soit un menteur. Dans le second cas de figure, interrogez-vous sur son intérêt personnel à prédire l’optimisme…

Nous avons connu une destruction astronomique de richesse nominale (elle se chiffre à ce jour en dizaines de trillions de dollars) et une chute du commerce international, moteur de l’économie, sans précédent depuis la deuxième guerre mondiale. La fragilité du système est extrême : si le contribuable américain avait laissé couler AIG (facture de 185 milliards de dollars), c’est tout le château de cartes de la finance mondiale qui se serait écroulé.
Mais nos malheurs ne font que commencer et le pire est à venir. On peut railler Cassandre, mais cela n’a jamais empêché la chute de Troie.

Plusieurs bombes à retardement sont cachées, prêtes à exploser
D’abord, celle des crédits hypothécaires dits « Pay Option Adjustable Rate Mortgage » des ménages américains. Il s’agit de prêts dont les mensualités ne couvrent généralement qu’une somme inférieure aux intérêts et qui sont dotés d’un mécanisme infernal de revolving qui fait croître inexorablement le montant à rembourser. Quand la somme due atteint atteint un certain niveau, le crédit est automatiquement cristallisé en un prêt amortissable mensuellement, ce qui engendre un doublement - ou plus - insupportable de ses mensualités. Près de 30 % des prêts Pay Option ARM seraient aujourd’hui défectueux et le volume total des Pay Option ARM est comparable à celui des sub-primes (dont les effets ne sont d’ailleurs pas terminés) !

Dans le même temps, sur le secteur dit prime, considéré comme le plus solvable, le niveau de défaut frôle désormais les 4 %, chiffre qui a doublé en un an. Le nombre de faillites personnelles va continuer de croître, ainsi que le nombre de chômeurs, entraînant la chute de la valeur des MBS (Mortgage Back Securities), obligations adossées à ces créances hypothécaires.

Ce qui est vrai pour l’immobilier l’est aussi pour les autres postes de consommation courante des ménages américains : la titrisation des encours de crédits revolving, générés à l’aide des millions de cartes de crédit des ménages américains, est également une bombe en puissance.

Ce qui concerne les ménages s’applique également aux entreprises : les prêts hypothécaires commerciaux (bureaux, centre commerciaux, hôtels…) connaissent aussi un taux de défaut voisin de 5 % et risquent de précipiter dans la faillite de nombreux petits établissements de crédits américains, spécialisés dans l’immobilier d’entreprises. Avec le jeu classique de dominos à la clef.

Les mêmes causes produiront les mêmes effets : de nouvelles bulles immobilières sont donc prêtes à éclater.

Autre piège à retardement : le marché gigantesque des Credit-Default-Swap (CDS), qui n’est rien d’autres que des millions de paris faits sur les faillites des sociétés émettrices de dettes, a cru de zéro à 62 000 milliards de dollars (l’équivalent du PIB mondial !) en 7 ans, soit près de 12 fois plus que le montant des créances à risque qu’il est censé couvrir ! La réalité est peut-être pire, puisque ce marché fonctionne de gré à gré, dans la plus grande opacité. Comme celui, incontrôlé, des hedge funds.

De même, les montants astronomiques atteints par les produits dérivés, pas seulement les dérivés de crédits (qui ne représentent « que » 30 000 milliards de dollars, mais seulement 7 % de l’ensemble des produits dérivés), promettent à eux seuls des vertiges systémiques.

Sans oublier qu’il reste une masse considérable d’actifs toxiques, disséminés grâce à l’outil de magie noire qu’est la titrisation, cachés dans les comptes des banques (peut-être autant que le volume de ceux qui ont déjà été extériorisés ?) où l’opacité règne en maître, amplifiée par les changements de méthodes de valorisation des actifs.
Ne parlons pas du marché des LBO.

En outre, la menace d’un krach obligataire plane toujours : les déficits abyssaux des Etats et l’augmentation de leur risque de défaut de remboursement, l’impossibilité de contenir la dette publique américaine, sont susceptibles d’entraîner un écroulement du prix des obligations.

Enfin, la chute du dollar pourrait s'accentuer, entraînant avec elle celle de la monnaie chinoise (qui lui est enchaînée, pour favoriser les exportations), véritable catastrophe pour les pays de la zone euro et pour tous les autres pays. Les deux grands moteurs exportateurs que sont l’Allemagne (chez qui dix ans d’efforts, de rigueur budgétaire et de frugalité salariale n’auront servi à rien !) et le Japon (scotché dans sa spirale déflationniste) se sont grippés.

Sans parler de l'Islande, de la Grêce ou de la Californie, l’Espagne est en train de s’écrouler, le Royaume-Uni chancelle. Les banques sont « too big to fail » parce qu’elles disposent des Etats et de leurs généreux contribuables pour les secourir. Mais si les Etats eux-mêmes devaient être too big to fail, qui les sauverait ?

Bref, en vertu de la règle de proportion entre les parties émergée et immergée de l’iceberg, en raison de l’interconnexion totale de tous les marchés et en l’absence complète de contrôle sur la machine infernale que le capitalisme financier a créée, il y a mathématiquement peu de chances pour que le séisme que nous avons connu ne soit pas suivi par d’autres séries de répliques, d’autant plus dangereuses que l’économie mondiale est aujourd’hui à terre, sans capacité de résistance.

Dans le même temps, l’huile se déverse sur le feu, comme jamais
Il faut que tout change pour que rien ne change. Tout recommence comme avant. L’objectif fou d’un rendement sur fonds propres de 15 % est toujours d’actualité. Mais il serait faux ou naïf de dire que les traders n’ont rien compris ; au contraire, ils apprennent de mieux en mieux comment créer des bulles, sources de leurs profits. Plus puissante que toutes les drogues, la cupidité frénétique n’a aucune limite. Les bonus provisionnés pour 2009 par les quatre grandes banques américaines, Bank of America, JPMorgan Chase, Citigroup et Morgan Stanley, qui s’élèvent à plus de 120 milliards de dollars (un record !), ne sont-ils pas un bon thermomètre ?

Le trading de haute fréquence (high frequency trading), qui recourt massivement à des machines algorithmiques surpuissantes, de façon à passer des ordres à très haute vitesse (leur unité de temps est la microseconde, ce qui ne correspond évidemment à aucune réalité humaine), représente déjà 70 % des volumes d’actions échangés quotidiennement sur les marchés américains (et sa croissance annuelle est à deux chiffres).

De même, les marchés de l’ombre (« Dark pools »), plates-formes qui permettent de jouer en Bourse de façon totalement anonyme, en dehors de toute chambre de compensation, concernent déjà plus de 10 % des échanges.

La surabondance de liquidités alimente la spéculation sur les marchés des actifs (actions, immobilier, matières premières, devises…) et forme de nouvelles bulles. L’effondrement de Dubaï n’est qu’un signe avant-coureur de futures explosions.

Depuis le carry trade (jouer sur les écarts de rendement des devises), jusqu’aux effets pervers des indices sur les cours des matières premières, la spéculation compulsive n’a jamais créé autant de risque systémique.

Nous sommes engagés dans une spirale infernale
La demande des ménages occidentaux va baisser drastiquement (et, ce coup-ci, elle ne pourra plus être soutenue par l’endettement), entraînant une récession qui s’autoalimente, aggravant le risque de déflation. D’autant que c’est automatiquement la masse salariale qui va jouer à la baisse (par alignement sur le moins-disant), le rôle de variable d’ajustement et entraîner de nouvelles vagues de délocalisation.

On assiste à une surabondance des offres sur tous les marchés : crise de surproduction et de surinvestissement (les surcapacités industrielles sont considérables), offre de travail à bas prix (explosion du chômage dans les pays industrialisés, offre déqualifiée dévastatrice des pays émergents), offre de capitaux (excès de liquidité, multipliée par 3 en 10 ans et qui continue de croître), stocks de pétrole (jamais aussi élevés)…
L’accroissement de l’insécurité sociale, conjuguée à la faillite des systèmes de retraite (autant ceux à capitalisation que ceux à répartition), va générer une priorité absolue à l’épargne sur la consommation.

Nous entrons dans une spirale de type déflationniste généralisée contre laquelle personne ne sait lutter (il n’est qu’à contempler l’exemple du Japon, qui y est englué depuis 20 ans). Et surtout pas les stratégies monétaristes des banques centrales qui, à contre-courant, luttent dogmatiquement contre une inflation imaginaire, disparue depuis plus de 12 ans.

Le capitalisme est-il entré dans sa phase d’autodestruction ?
Nous ne vivons pas une nième crise économique cyclique, comme s’en nourrit perpétuellement le système. Nous sommes entrés dans la phase historique de crise du système capitaliste néolibéral lui-même.
Le système a fonctionné jusqu’ici sur la base de la captation, toujours croissante, des profits créés par les salariés dans les mains d’un petit nombre d’intérêts privés, puis, après l’effondrement de la pyramide de Ponzi mondiale, sur celle de la socialisation des pertes. C’est terminé : compte tenu du niveau abyssal de leurs dettes (la dette mondiale est en passe de dépasser le PIB) et de leurs déficits, les Etats ne pourront plus éponger toute destruction de valeur supplémentaire ni continuer à soutenir l’économie. D’autant que la dé-consommation de masse va encore obérer gravement les rentrées de TVA.

Malgré les inévitables hausses des impôts que vont devoir payer les classes moyennes (les riches continueront d’y échapper), et qui autoalimenteront la baisse de la consommation, les contribuables ne suffiront plus. Ce sont désormais les citoyens (à commencer par les plus démunis) qui vont payer : accentuation de la précarisation de leur emploi, durcissement des conditions de travail et écrasement des salaires (travailler plus pour gagner moins) pour ceux qui ont la chance d’avoir un emploi, flambée phénoménale du chômage de masse (par centaines de millions d’individus dans le monde), diminution drastique des transferts sociaux, explosion des inégalités sociales et des écarts de richesse, désagrégation des mécanismes de solidarité et d’auto-défense (il n’y a pas de syndicats de pauvres).
Chacun pour soi, c’est-à-dire la loi du plus fort, risque d'être la règle de cette dé-mondialisation.

Quel est le taux de pauvreté que peut supporter une société, avant l’explosion sociale et le recours à la violence ? Mauvaise nouvelle (ou bonne nouvelle ?) : il y a de la marge ! De 13 % aujourd’hui en moyenne dans les pays développés, le taux de pauvreté pourrait sans doute doubler, sans causer de troubles irrémédiables. La capacité d’endurance des pauvres est toujours plus forte qu’on ne croit. Il suffit de regarder vivre les milliards d’habitants des pays en développement pour constater qu’on s’habitue à la misère. Les immenses bidonvilles indiens ou africains, qui jouxtent désormais les habitations des classes moyennes, prospèrent dans l’indifférence des autorités locales. Et qu’elles soient démocratiques ou dictatoriales n’y change rien.

Pourtant, nous recevons des signaux faibles, avant-coureurs de symptômes de violence : recrudescence des manifestations et troubles à l’ordre public, multiplication des grèves, séquestrations de patrons, développement des résidences protégées, vagues de suicides en entreprise (stade ultime de la violence que l’on retourne contre soi-même)…au Nord, émeutes de la faim au Sud …

On peut légitimement craindre la multiplication des mesures protectionnistes nationalistes, les victoires des partis populistes, l’exacerbation des fondamentalismes religieux, l’explosion du terrorisme…

C’est à peu près au moment où nous aurons atteint cet état de délabrement économique et social, que deux autres vagues inexorables rencontreront leurs effets de seuil : la crise démographique, qui vient grossir exponentiellement les rangs des pauvres, et la crise écologique (emballement des émissions de gaz à effet de serre, épuisement des ressources naturelles, pollutions en tous genres) qui accentuera la pression sur eux.

Il y a deux façons de changer le monde. La première s’appelle l’évolution : deux pas en avant, un en arrière, un sur le côté, au gré des rapports de force au sein de l’oligarchie, qui feront que les privilégiés concèderont quelques miettes compassionnelles aux défavorisés et au rythme lent du contre-pouvoir qu’est la démocratie, enchaînant essais, erreurs, corrections et adaptations darwiniennes. La seconde se nomme révolution : pour changer le monde, changer les dirigeants qui l’exploitent à leur profit personnel.

L’inflation galopante qui a suivi la crise des années 30 a conduit au nazisme et à la plus grande barbarie jamais connue de l’histoire de l’humanité. La spirale déflationniste qui menace, avec sa conséquence, l’envahissement généralisé de la pauvreté, mènera-t-elle le monde à l’anarchie et à l’effondrement de notre civilisation ? Comme on dit, le pire n’est jamais certain.

24 décembre 2009

La responsabilité d'entreprise n'a rien à voir avec la philanthropie.

Depuis une dizaine d’années, les entreprises s’efforcent de mieux s’ouvrir sur le monde, qu’elles soient contraintes et forcées par les opinions publiques (qui leur font très peu confiance pour contribuer au bien commun) et les ONG (qui prétendent représenter la société civile), ou qu’il s’agisse de démarches volontaires, voulues par quelques dirigeants éclairés, qui ont compris qu’être en phase avec les aspirations du monde et écouter l’ensemble de ses parties prenantes (pas seulement les marchés financiers) était source de création de valeur.
Ces démarches sont jeunes, donc peu matures, les normes n’existent pas encore et les référentiels sont peu stabilisés (l’ISO 26 000 n’est qu’une première pierre). D’autant qu’elles dépendent beaucoup des contextes culturels dans lesquels les entreprises - particulièrement les multinationales - évoluent. Il est donc naturel que règne une certaine confusion dans les concepts. Cette confusion a deux sources différentes : l’ignorance et le cynisme.
L’ignorance. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, un nombre significatif d’acteurs économiques, dirigeants, responsables, le nez sur le guidon de leur compte d’exploitation trimestriel, consacrent peu de temps à réfléchir à ces questions. S’ils ont lu, dans leur jeunesse, Max Weber, Hans Jonas ou Emmanuel Levinas, leur emploi du temps a rendu invisibles à leurs yeux les indispensables ponts qui relient la philosophie, la morale et l’éthique, la marche du monde, les valeurs des sociétés, et le fonctionnement des organisations humaines. Ce déficit culturel explique largement les mélanges des genres entre développement durable (concept macroéconomique, qui s’applique mal à l’acteur microéconomique qu’est l’entreprise), responsabilité sociétale de l’entreprise (impossibilité de traduire en un seul mot le ‘social’ anglais), responsabilité sociale et environnementale (RSE), responsabilité (tout court) d’entreprise, entreprise citoyenne (comme si ce qualificatif pouvait s’appliquer à autre chose qu’à un individu)…
La responsabilité d’une entreprise, quelles que soient son activité et son utilité sociale, consiste à chercher à satisfaire au mieux chacune de ses parties prenantes (aux intérêts naturellement contradictoires) et à minimiser ses externalités négatives (cas des impacts environnementaux par exemple). L’objectif est de générer ainsi une survaleur sur le long terme et de la redistribuer équitablement, de façon à entretenir le cercle vertueux de la fidélité de ses partenaires. Cet impératif n’a rien à voir avec le mécénat d’entreprise, qui est du registre de la générosité facultative. Même si l’on peut intellectuellement classer la philanthropie dans le volet de la maximisation des externalités positives, avec l’arrière-pensée de la compensation des effets (un peu comme on le dit de la compensation des émissions de CO2).
Le cynisme. Beaucoup de décideurs et dirigeants du monde économique sont empreints d’un biais cognitif : leur croyance absolue dans l’automaticité et l’universalité des bienfaits du système libéral à base d’économie de marché et de capitalisme financier - qui les a placés là où ils sont - les empêche d’intégrer en profondeur les paramètres extra-financiers et la notion de long terme. Croire et faire croire que la RSE se limite à la philanthropie est une manière de nier et d’évacuer ce sujet contrariant. A l’instar de la philanthropie à l’américaine, avec ses galas de charité, ou bien des indulgences religieuses, qui permettent de se racheter une conscience à peu de frais, tout se passe comme si l’entreprise cherchait à redorer son image en détournant l’attention de son activité quotidienne.

Mais voilà que tout se complique. Depuis quelques années, cette saine séparation entre la poche droite (la responsabilité comme source de profit pérenne) et la poche gauche (la générosité, qui doit rester discrète) s’estompe. De nouveaux concepts, comme toujours venus d’outre-Atlantique, déplacent les frontières et introduisent un continuum : ils s’appellent bénévolat et mécénat de compétences (une manière innovante de valoriser les talents des collaborateurs, notamment ceux des seniors), partenariats ONG, financement et accompagnement des réseaux d’entrepreneurs sociaux, ‘philanthropic venture’, fonds de développement, ‘impact invest’, ‘capacity building’, base-de-la-pyramide…L’innovation sociale propose à l’entreprise de multiples voies pour renouveler ses modèles de développement. Elles vont bien au-delà des pratiques françaises actuelles, qui se limitent généralement à inciter les collaborateurs à donner de l’argent à une cause choisie par l’entreprise (comme s’ils étaient incapables de le faire par eux-mêmes dans leur vie privée)….ce qui n’est d’ailleurs en rien un indicateur d’un management responsable des employés.

Clarifier les concepts, réfléchir sur le fond des choses, s’interroger sur sa place dans la cité, développer une vision holistique du monde, remettre en cause les dogmes…sont des pré-requis indispensables à l’action de l’entreprise du 21ème siècle. Pour répondre à la demande de sens et pour reconquérir le désir des hommes d’entreprendre ensemble.

20 décembre 2009

Les leçons de Copenhague

Alors que les Chefs d’Etat représentent (la plupart du temps démocratiquement) leurs citoyens et que tous les citoyens du monde (ou presque) ne veulent pas d’un chaos climatique qui affecterait leurs conditions de vie ou celle de leurs enfants, ils ont échoué à trouver un accord. Pourquoi ? Parce que, sous l’effet de la mondialisation voulue par les décideurs, tous les pays du monde sont en guerre. En guerre économique, les uns contre les autres.
Les Chefs d’Etat sont-ils sous influence des grands lobbies industriels, notamment ceux liés au secteur énergétique, qu’ils soient producteurs ou gros utilisateurs ? Du moins de ceux, parmi eux, qui s’imagineraient que transformer leur outil de production, adapter leurs business models, remplacer la quantité par la qualité, trouver de nouveaux marchés à l’étranger… affecterait la rentabilité servie à leurs actionnaires. Les beaux discours sur l’innovation créatrice de valeur ne seraient-ils pas sincères ? Et que valent-ils devant la facilité des délocalisations ?
Mais qui peut croire que les intérêts des grandes entreprises sont nationaux ? Les multinationales n’ont pas de patrie, comme le capitalisme. Qui peut encore prétendre que Total est une entreprise française et Arcelor-Mittal une indienne ? Non, fausse piste, les raisons de l’échec sont à chercher ailleurs. Les Chefs d’Etat ne savent tout simplement pas comment découpler la croissance économique de leur pays et la préservation de l’environnement (qu’il soit local ou global), sur la durée d’un mandat électoral. Ils ne veulent pas d’une contrainte supplémentaire qui accentuerait le chômage dans les pays industrialisés ou freinerait le développement de ceux du Sud. Car, les chômeurs d’un côté, et les pauvres de l’autre, sont aussi des électeurs, autant que des sources d’ennuis. Les problèmes d’aujourd’hui ont plus de poids que ceux de demain. En donnant la préférence au présent de leurs électeurs, les élus renoncent à faire des calculs d’actualisation du bien-être sur le long terme. Ici et maintenant, chacun pour soi.
La terre n’est pas plate, elle est morcelée en une multitude d’îlots d’intérêts et d’égoïsmes privés (bien plus que 192). Dans ces conditions, la théorie des jeux (je n’avance que si tu avances, et réciproquement), appliquée à la problématique du bien commun, nous apprend qu’il n’y a que deux scenarios : « tous ou personne ». On s’en sort tous ensemble ou bien tout le monde coule sur le Titanic, les riches comme les pauvres.
Qui pouvait être assez naïf pour croire que l’usine à gaz onusienne, qui permet à chacun des 192 pays - quelle que soit son influence sur le monde - de mettre indéfiniment son grain de sel et le transformer en grain de sable, pouvait faire converger des intérêts privés vers l’intérêt général ? Si l’on savait gouverner le monde en l’absence de gouvernement mondial, cela se saurait et le problème de la faim dans le Sud - qui bizarrement fait couler beaucoup moins d’encre que celui du climat… - serait résolu depuis bien longtemps.
Toute l’Histoire, depuis les gallo-romains jusqu’au plan Marshall (et, espérons-le un jour, le conflit israélo-palestinien) , nous apprend qu’il n’y a qu’une seule issue pour la paix : comme les vainqueurs avec les vaincus, les forts doivent aider les faibles. En matière de climat, comme en matière de développement, le Nord doit aider le Sud.
Les gens ne veulent pas de la guerre économique, d’une mondialisation qui écrase les salaires et précarise les emplois des occidentaux même si, dans le même temps, elle sort de la pauvreté trois cent millions de chinois. Mais les chinois eux-mêmes veulent-ils d’un développement qui rend leur air irrespirable, leur eau polluée et leurs campagnes désertifiées ? Personne ne leur demande leur avis.
La vie serait douce si l’on ne nous forçait pas à lutter les uns contre les autres. Demain, nous demandera-t-on de construire des murs anti-réfugiés climatiques ?
Copenhague nous interroge : toujours chercher à qui profite le crime ?

2 décembre 2009

L'argent responsable

Les banques, ou certaines d’entre elles - ou certains acteurs financiers - sont accusées par toutes les opinions publiques d’avoir fichu la planète en l’air et généré la plus grave crise économique depuis près d’un siècle. Le thème de l’argent responsable est à la une de tous les medias et l’image des banquiers est au plus bas. Décortiquons cette notion de responsabilité pour la finance.


Le rôle de la banque est de financer l’économie, c’est-à-dire de permettre aux personnes (physiques et morales), via l’argent qu’elle leur prête et la gestion de leur épargne, de réaliser leurs projets de vie. Au-delà du caractère universel de son objet social (tout le monde a un compte en banque), le service qu’elle rend ainsi à la société est inestimable et dans l’échelle de classement de la valeur des activités humaines selon leur utilité sociale, elle se situe sans conteste dans le haut de la liste (en tout cas au-dessus des fabricants de tabac, par exemple).

En agglomérant des millions de demandes unitaires, la banque permet aux lois statistiques des grands nombres de jouer en faveur de la mutualisation des risques, du lissage des volatilités des couples offre-demande, de l’optimisation des allocations de capitaux et de la diminution des coûts de transactions. Elle crée ainsi une sorte de chaîne de solidarité économique entre acteurs, à l’instar d’un assureur (où les primes des uns payent les sinistres des autres). Cette interdépendance peut s’avérer la meilleure (les dépôts des uns permettent les crédits des autres) ou la pire des choses (lorsqu’elle se transforme en pyramide mondiale de Ponzi). Cela dépend des critères de transparence et des garde-fous que leurs régulateurs imposent aux banques mais aussi de leur propre conception de leur responsabilité.

Car, comme pour toutes les autres activités, il y a différentes façons d’exercer le métier, plus ou moins responsables. Au-delà du strict respect des règlementations (la banque est une des activités les plus règlementées au monde), la responsabilité de la banque vis-à-vis du client emprunteur ou épargnant s’exprime en termes de transparence des conditions et tarifs, accessibilité et égalité d’accès aux produits et services, équité de traitement, pertinence des conseils adaptés aux situations personnelles (appétit / aversion au risque, horizon de temps, liquidité…). La question qu’est en droit de se poser chaque client est : ma banque agit-elle dans mon intérêt ? Or, chacun peut constater qu’en matière de satisfaction client, toutes les banques et tous leurs agents n’ont pas encore atteint l’excellence. La responsabilité par la qualité est un long chemin de progrès.

Mais désormais, les frontières de responsabilité sont repoussées encore plus loin par les sociétés civiles et les opinions publiques.
Qu’il s’agisse d’épargne liquide (noyée dans le grand chaudron des marchés du loyer de l’argent) ou des OPCVM, de l’assurance-vie, des titres en direct, du private equity, du capital venture, la banque n’est jamais qu’un intermédiaire (sauf exceptions, souvent conjoncturelles et temporaires, la banque n’a pas vraiment « d’argent à elle ») : à travers ses accès aux marchés financiers, l’argent des investisseurs va dans les entreprises ou finance les emprunts d’Etats, au service de la croissance privée ou publique.

Or aujourd’hui, certains épargnants s’intéressent à la destination finale de leur argent : les bénéficiaires ultimes ont-ils une utilité sociale, quelle est la nature de leurs impacts sur l’environnement et la société, leur façon de conduire les affaires est-elle propre ? Ils demandent à leur intermédiaire financier de leur proposer des supports qui prennent aussi en compte ces critères de responsabilité éthique, sociale, environnementale et de bonne gouvernance. Qu’il s’agisse d’ISR, de fonds thématiques environnementaux, de produits de partage ou solidaires, etc…il est de la responsabilité de la banque de stimuler cette demande naissante et de répondre au besoin de pédagogie en matière de traçabilité de l’épargne.

De même, si la banque n’est pas responsable des disparités de fiscalités entre pays, formatrices de paradis fiscaux, elle doit s’interroger en permanence sur les frontières entre l’optimisation et l’évasion.

Sur le volet des financements, les enjeux sont totalement symétriques : les projets, actifs, activités financés ont-ils des impacts négatifs sur la société et l’environnement ? La banque responsable doit mettre en place des dispositifs d’évaluation des dossiers de crédits qui prennent en compte les risques environnementaux et sociétaux. A la fin de la journée, assumer ses responsabilités, c’est signer en bas de la page en toute connaissance de cause.

Idem pour les activités de marchés : le trading pour compte propre, la confection de produits complexes basés sur des modèles mathématiques opaques, le jeu des effets de leviers, la préférence pour le court terme, les paris de casino, les spéculations des traders sur les marchés des matières premières agricoles …doivent désormais démontrer non seulement leur innocuité mais surtout leur utilité sociale.

Les banques ont une responsabilité phénoménale sur la marche du monde. Le défi de l’argent responsable est certainement l’un des plus stratégiques pour la banque de demain et la restauration durable de son image et de sa réputation. Relevons-le !