Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?

Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?
Aux Editions de l'Aube

18 février 2011

Au secours, Michael Porter découvre la RSE !

Le pape du management (d’où nous vient que nous adorons nous prosterner aux pieds des gourous ?) vient de commettre un article, co-signé avec Mark Kramer, dans la sacro-sainte revue « Harvard Business Review », intitulé « The big idea (en toute modestie) : creating shared value ».

Après des années de déni (« The social responsibility of business is business, i.e. to maximize profit »), voilà que les donneurs de leçons découvriraient la RSE ?
Les auteurs américains (professeurs, consultants, business men…) ont un don : ils arrivent à inventer, chaque décennie, des modes de management, qu’ils savent vendre, à forte dose de push marketing (puissance de feu des grands cabinets de conseil anglo-saxons, les big six), à des managers crédules, en recherche de légitimité ou d’originalité pour renouveler leurs discours. Ils savent aussi très bien parler, souvent parler pour ne rien dire, puisque la plupart de leurs ouvrages de plusieurs centaines de pages, remplies d’idées reçues et de portes ouvertes allègrement enfoncées, peuvent être synthétisés par un esprit cartésien latin en une demi-page, pour pas dire sur un ticket de métro.
Et ce, dans le meilleur des cas. Dans le pire, ils nous racontent des salades. Ainsi, Peters est aussi devenu pape avec son fameux « Prix de l’excellence », bien que la plupart des entreprises dont il encensait le business model aient fait faillite quelques années après. Autre qualité des américains : ils ont la certitude d’avoir toujours raison et se posent peu de questions.

Porter découvre aujourd’hui la RSE. Il nous apprend notamment, sans rire, que la RSE n’a finalement rien à voir avec la philanthropie ! Arghrr ! Il vaut mieux entendre ça que d’être sourd ! A sa décharge, Porter vit dans un pays où la Corporate Social Responsibility est confondue avec les galas de charité et les indulgences : on gagne le plus d’argent possible, le plus vite possible, peu importe comment, puis on en redonne un peu aux nécessiteux, pas tant pour se racheter une conscience (les relations du business man américain avec Dieu sont très mystérieuses pour un esprit européen) ou pour dorer son image, que pour monter des opérations de public relations, génératrices de nouvelles affaires.

Monsieur Porter découvre que personne ne fait confiance aux multinationales et que leurs approches sont dépassées : ses propres conseils (bien rémunérés) de bonne gestion n’auraient donc pas été efficaces ?

Monsieur Porter énonce doctement que les entreprises devraient se concentrer sur la satisfaction des besoins de leurs clients (dommage que Monsieur Porter ne pousse pas plus loin l’analyse des différences entre besoins et demande…) et arrêter de leur vendre n’importe quoi n’importe comment ! Whaouh ! Quel scoop révolutionnaire ! Tous ceux qui s’échinent, comme moi, depuis plusieurs décennies à faire progresser les concepts de la qualité, doivent avoir les bras qui leur en tombent.

Selon Porter, Il faut mettre la social responsibility « au cœur du business », et non en périphérie ! J’adore ce genre de phrase totalement creuse.

L’idée (géniale !) de la shared value est tout simplement à la base même de la définition de la RSE : cela s’appelle extraire de la valeur à partir de la satisfaction des parties prenantes et de leur collaboration, puis leur redistribuer équitablement cette valeur créée, afin de générer une survaleur (goodwill). Des dizaines d’économistes ont démontré ce phénomène depuis longtemps, que ce soit au plan micro-économique (via la réduction des coûts de transaction due à la fidélisation des parties prenantes), qu’au niveau macro-économique (une société inégalitaire est tout simplement moins efficiente globalement).

Mais il y a décidément aussi beaucoup de naïveté chez ces penseurs américains : ils sont tellement imprégnés, dans leurs gènes, du bien-fondé du capitalisme financier, de l’idéologie néolibérale et des vertus de l’individualisme et de l’égoïsme, qu’ils ouvrent des yeux tout ronds quand ils s’aperçoivent que les logiques de coopération et de partage sont plus puissantes.

Enfin, pour illustrer ses révélations, Porter cite le nom des quelques multinationales, qui seraient des modèles de RSE new-look. Inutile de rappeler qu’à cet égard, les avis sont pour le moins partagés, tant les casseroles attachées à la queue de ces monstres sont nombreuses (violation des lois anticoncurrentielles, des droits du travail, publicités mensongères,…la liste est longue).

Si l’on ne change pas le système ambiant (et pour Porter, il est évidemment hors de question de demander plus de règlementation), la seule vision de la RSE qu’on peut défendre est une vision utilitariste, que Monsieur Porter vient de découvrir. Bienvenu au club !
C’est un peu triste de devoir compter sur un tas de lieux communs, proférés par la bouche d’une star, pour faire avancer le débat sur la RSE. Mais après tout, on n’est plus à un blah-blah près, soyons opportunistes, profitons-en, qu’importe le flacon…