Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?

Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?
Aux Editions de l'Aube

30 décembre 2009

On n'a encore rien vu

Tout économiste qui prétend être capable de vous donner une date pour la reprise de l’économie mondiale est soit un incompétent soit un menteur. Dans le second cas de figure, interrogez-vous sur son intérêt personnel à prédire l’optimisme…

Nous avons connu une destruction astronomique de richesse nominale (elle se chiffre à ce jour en dizaines de trillions de dollars) et une chute du commerce international, moteur de l’économie, sans précédent depuis la deuxième guerre mondiale. La fragilité du système est extrême : si le contribuable américain avait laissé couler AIG (facture de 185 milliards de dollars), c’est tout le château de cartes de la finance mondiale qui se serait écroulé.
Mais nos malheurs ne font que commencer et le pire est à venir. On peut railler Cassandre, mais cela n’a jamais empêché la chute de Troie.

Plusieurs bombes à retardement sont cachées, prêtes à exploser
D’abord, celle des crédits hypothécaires dits « Pay Option Adjustable Rate Mortgage » des ménages américains. Il s’agit de prêts dont les mensualités ne couvrent généralement qu’une somme inférieure aux intérêts et qui sont dotés d’un mécanisme infernal de revolving qui fait croître inexorablement le montant à rembourser. Quand la somme due atteint atteint un certain niveau, le crédit est automatiquement cristallisé en un prêt amortissable mensuellement, ce qui engendre un doublement - ou plus - insupportable de ses mensualités. Près de 30 % des prêts Pay Option ARM seraient aujourd’hui défectueux et le volume total des Pay Option ARM est comparable à celui des sub-primes (dont les effets ne sont d’ailleurs pas terminés) !

Dans le même temps, sur le secteur dit prime, considéré comme le plus solvable, le niveau de défaut frôle désormais les 4 %, chiffre qui a doublé en un an. Le nombre de faillites personnelles va continuer de croître, ainsi que le nombre de chômeurs, entraînant la chute de la valeur des MBS (Mortgage Back Securities), obligations adossées à ces créances hypothécaires.

Ce qui est vrai pour l’immobilier l’est aussi pour les autres postes de consommation courante des ménages américains : la titrisation des encours de crédits revolving, générés à l’aide des millions de cartes de crédit des ménages américains, est également une bombe en puissance.

Ce qui concerne les ménages s’applique également aux entreprises : les prêts hypothécaires commerciaux (bureaux, centre commerciaux, hôtels…) connaissent aussi un taux de défaut voisin de 5 % et risquent de précipiter dans la faillite de nombreux petits établissements de crédits américains, spécialisés dans l’immobilier d’entreprises. Avec le jeu classique de dominos à la clef.

Les mêmes causes produiront les mêmes effets : de nouvelles bulles immobilières sont donc prêtes à éclater.

Autre piège à retardement : le marché gigantesque des Credit-Default-Swap (CDS), qui n’est rien d’autres que des millions de paris faits sur les faillites des sociétés émettrices de dettes, a cru de zéro à 62 000 milliards de dollars (l’équivalent du PIB mondial !) en 7 ans, soit près de 12 fois plus que le montant des créances à risque qu’il est censé couvrir ! La réalité est peut-être pire, puisque ce marché fonctionne de gré à gré, dans la plus grande opacité. Comme celui, incontrôlé, des hedge funds.

De même, les montants astronomiques atteints par les produits dérivés, pas seulement les dérivés de crédits (qui ne représentent « que » 30 000 milliards de dollars, mais seulement 7 % de l’ensemble des produits dérivés), promettent à eux seuls des vertiges systémiques.

Sans oublier qu’il reste une masse considérable d’actifs toxiques, disséminés grâce à l’outil de magie noire qu’est la titrisation, cachés dans les comptes des banques (peut-être autant que le volume de ceux qui ont déjà été extériorisés ?) où l’opacité règne en maître, amplifiée par les changements de méthodes de valorisation des actifs.
Ne parlons pas du marché des LBO.

En outre, la menace d’un krach obligataire plane toujours : les déficits abyssaux des Etats et l’augmentation de leur risque de défaut de remboursement, l’impossibilité de contenir la dette publique américaine, sont susceptibles d’entraîner un écroulement du prix des obligations.

Enfin, la chute du dollar pourrait s'accentuer, entraînant avec elle celle de la monnaie chinoise (qui lui est enchaînée, pour favoriser les exportations), véritable catastrophe pour les pays de la zone euro et pour tous les autres pays. Les deux grands moteurs exportateurs que sont l’Allemagne (chez qui dix ans d’efforts, de rigueur budgétaire et de frugalité salariale n’auront servi à rien !) et le Japon (scotché dans sa spirale déflationniste) se sont grippés.

Sans parler de l'Islande, de la Grêce ou de la Californie, l’Espagne est en train de s’écrouler, le Royaume-Uni chancelle. Les banques sont « too big to fail » parce qu’elles disposent des Etats et de leurs généreux contribuables pour les secourir. Mais si les Etats eux-mêmes devaient être too big to fail, qui les sauverait ?

Bref, en vertu de la règle de proportion entre les parties émergée et immergée de l’iceberg, en raison de l’interconnexion totale de tous les marchés et en l’absence complète de contrôle sur la machine infernale que le capitalisme financier a créée, il y a mathématiquement peu de chances pour que le séisme que nous avons connu ne soit pas suivi par d’autres séries de répliques, d’autant plus dangereuses que l’économie mondiale est aujourd’hui à terre, sans capacité de résistance.

Dans le même temps, l’huile se déverse sur le feu, comme jamais
Il faut que tout change pour que rien ne change. Tout recommence comme avant. L’objectif fou d’un rendement sur fonds propres de 15 % est toujours d’actualité. Mais il serait faux ou naïf de dire que les traders n’ont rien compris ; au contraire, ils apprennent de mieux en mieux comment créer des bulles, sources de leurs profits. Plus puissante que toutes les drogues, la cupidité frénétique n’a aucune limite. Les bonus provisionnés pour 2009 par les quatre grandes banques américaines, Bank of America, JPMorgan Chase, Citigroup et Morgan Stanley, qui s’élèvent à plus de 120 milliards de dollars (un record !), ne sont-ils pas un bon thermomètre ?

Le trading de haute fréquence (high frequency trading), qui recourt massivement à des machines algorithmiques surpuissantes, de façon à passer des ordres à très haute vitesse (leur unité de temps est la microseconde, ce qui ne correspond évidemment à aucune réalité humaine), représente déjà 70 % des volumes d’actions échangés quotidiennement sur les marchés américains (et sa croissance annuelle est à deux chiffres).

De même, les marchés de l’ombre (« Dark pools »), plates-formes qui permettent de jouer en Bourse de façon totalement anonyme, en dehors de toute chambre de compensation, concernent déjà plus de 10 % des échanges.

La surabondance de liquidités alimente la spéculation sur les marchés des actifs (actions, immobilier, matières premières, devises…) et forme de nouvelles bulles. L’effondrement de Dubaï n’est qu’un signe avant-coureur de futures explosions.

Depuis le carry trade (jouer sur les écarts de rendement des devises), jusqu’aux effets pervers des indices sur les cours des matières premières, la spéculation compulsive n’a jamais créé autant de risque systémique.

Nous sommes engagés dans une spirale infernale
La demande des ménages occidentaux va baisser drastiquement (et, ce coup-ci, elle ne pourra plus être soutenue par l’endettement), entraînant une récession qui s’autoalimente, aggravant le risque de déflation. D’autant que c’est automatiquement la masse salariale qui va jouer à la baisse (par alignement sur le moins-disant), le rôle de variable d’ajustement et entraîner de nouvelles vagues de délocalisation.

On assiste à une surabondance des offres sur tous les marchés : crise de surproduction et de surinvestissement (les surcapacités industrielles sont considérables), offre de travail à bas prix (explosion du chômage dans les pays industrialisés, offre déqualifiée dévastatrice des pays émergents), offre de capitaux (excès de liquidité, multipliée par 3 en 10 ans et qui continue de croître), stocks de pétrole (jamais aussi élevés)…
L’accroissement de l’insécurité sociale, conjuguée à la faillite des systèmes de retraite (autant ceux à capitalisation que ceux à répartition), va générer une priorité absolue à l’épargne sur la consommation.

Nous entrons dans une spirale de type déflationniste généralisée contre laquelle personne ne sait lutter (il n’est qu’à contempler l’exemple du Japon, qui y est englué depuis 20 ans). Et surtout pas les stratégies monétaristes des banques centrales qui, à contre-courant, luttent dogmatiquement contre une inflation imaginaire, disparue depuis plus de 12 ans.

Le capitalisme est-il entré dans sa phase d’autodestruction ?
Nous ne vivons pas une nième crise économique cyclique, comme s’en nourrit perpétuellement le système. Nous sommes entrés dans la phase historique de crise du système capitaliste néolibéral lui-même.
Le système a fonctionné jusqu’ici sur la base de la captation, toujours croissante, des profits créés par les salariés dans les mains d’un petit nombre d’intérêts privés, puis, après l’effondrement de la pyramide de Ponzi mondiale, sur celle de la socialisation des pertes. C’est terminé : compte tenu du niveau abyssal de leurs dettes (la dette mondiale est en passe de dépasser le PIB) et de leurs déficits, les Etats ne pourront plus éponger toute destruction de valeur supplémentaire ni continuer à soutenir l’économie. D’autant que la dé-consommation de masse va encore obérer gravement les rentrées de TVA.

Malgré les inévitables hausses des impôts que vont devoir payer les classes moyennes (les riches continueront d’y échapper), et qui autoalimenteront la baisse de la consommation, les contribuables ne suffiront plus. Ce sont désormais les citoyens (à commencer par les plus démunis) qui vont payer : accentuation de la précarisation de leur emploi, durcissement des conditions de travail et écrasement des salaires (travailler plus pour gagner moins) pour ceux qui ont la chance d’avoir un emploi, flambée phénoménale du chômage de masse (par centaines de millions d’individus dans le monde), diminution drastique des transferts sociaux, explosion des inégalités sociales et des écarts de richesse, désagrégation des mécanismes de solidarité et d’auto-défense (il n’y a pas de syndicats de pauvres).
Chacun pour soi, c’est-à-dire la loi du plus fort, risque d'être la règle de cette dé-mondialisation.

Quel est le taux de pauvreté que peut supporter une société, avant l’explosion sociale et le recours à la violence ? Mauvaise nouvelle (ou bonne nouvelle ?) : il y a de la marge ! De 13 % aujourd’hui en moyenne dans les pays développés, le taux de pauvreté pourrait sans doute doubler, sans causer de troubles irrémédiables. La capacité d’endurance des pauvres est toujours plus forte qu’on ne croit. Il suffit de regarder vivre les milliards d’habitants des pays en développement pour constater qu’on s’habitue à la misère. Les immenses bidonvilles indiens ou africains, qui jouxtent désormais les habitations des classes moyennes, prospèrent dans l’indifférence des autorités locales. Et qu’elles soient démocratiques ou dictatoriales n’y change rien.

Pourtant, nous recevons des signaux faibles, avant-coureurs de symptômes de violence : recrudescence des manifestations et troubles à l’ordre public, multiplication des grèves, séquestrations de patrons, développement des résidences protégées, vagues de suicides en entreprise (stade ultime de la violence que l’on retourne contre soi-même)…au Nord, émeutes de la faim au Sud …

On peut légitimement craindre la multiplication des mesures protectionnistes nationalistes, les victoires des partis populistes, l’exacerbation des fondamentalismes religieux, l’explosion du terrorisme…

C’est à peu près au moment où nous aurons atteint cet état de délabrement économique et social, que deux autres vagues inexorables rencontreront leurs effets de seuil : la crise démographique, qui vient grossir exponentiellement les rangs des pauvres, et la crise écologique (emballement des émissions de gaz à effet de serre, épuisement des ressources naturelles, pollutions en tous genres) qui accentuera la pression sur eux.

Il y a deux façons de changer le monde. La première s’appelle l’évolution : deux pas en avant, un en arrière, un sur le côté, au gré des rapports de force au sein de l’oligarchie, qui feront que les privilégiés concèderont quelques miettes compassionnelles aux défavorisés et au rythme lent du contre-pouvoir qu’est la démocratie, enchaînant essais, erreurs, corrections et adaptations darwiniennes. La seconde se nomme révolution : pour changer le monde, changer les dirigeants qui l’exploitent à leur profit personnel.

L’inflation galopante qui a suivi la crise des années 30 a conduit au nazisme et à la plus grande barbarie jamais connue de l’histoire de l’humanité. La spirale déflationniste qui menace, avec sa conséquence, l’envahissement généralisé de la pauvreté, mènera-t-elle le monde à l’anarchie et à l’effondrement de notre civilisation ? Comme on dit, le pire n’est jamais certain.

24 décembre 2009

La responsabilité d'entreprise n'a rien à voir avec la philanthropie.

Depuis une dizaine d’années, les entreprises s’efforcent de mieux s’ouvrir sur le monde, qu’elles soient contraintes et forcées par les opinions publiques (qui leur font très peu confiance pour contribuer au bien commun) et les ONG (qui prétendent représenter la société civile), ou qu’il s’agisse de démarches volontaires, voulues par quelques dirigeants éclairés, qui ont compris qu’être en phase avec les aspirations du monde et écouter l’ensemble de ses parties prenantes (pas seulement les marchés financiers) était source de création de valeur.
Ces démarches sont jeunes, donc peu matures, les normes n’existent pas encore et les référentiels sont peu stabilisés (l’ISO 26 000 n’est qu’une première pierre). D’autant qu’elles dépendent beaucoup des contextes culturels dans lesquels les entreprises - particulièrement les multinationales - évoluent. Il est donc naturel que règne une certaine confusion dans les concepts. Cette confusion a deux sources différentes : l’ignorance et le cynisme.
L’ignorance. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, un nombre significatif d’acteurs économiques, dirigeants, responsables, le nez sur le guidon de leur compte d’exploitation trimestriel, consacrent peu de temps à réfléchir à ces questions. S’ils ont lu, dans leur jeunesse, Max Weber, Hans Jonas ou Emmanuel Levinas, leur emploi du temps a rendu invisibles à leurs yeux les indispensables ponts qui relient la philosophie, la morale et l’éthique, la marche du monde, les valeurs des sociétés, et le fonctionnement des organisations humaines. Ce déficit culturel explique largement les mélanges des genres entre développement durable (concept macroéconomique, qui s’applique mal à l’acteur microéconomique qu’est l’entreprise), responsabilité sociétale de l’entreprise (impossibilité de traduire en un seul mot le ‘social’ anglais), responsabilité sociale et environnementale (RSE), responsabilité (tout court) d’entreprise, entreprise citoyenne (comme si ce qualificatif pouvait s’appliquer à autre chose qu’à un individu)…
La responsabilité d’une entreprise, quelles que soient son activité et son utilité sociale, consiste à chercher à satisfaire au mieux chacune de ses parties prenantes (aux intérêts naturellement contradictoires) et à minimiser ses externalités négatives (cas des impacts environnementaux par exemple). L’objectif est de générer ainsi une survaleur sur le long terme et de la redistribuer équitablement, de façon à entretenir le cercle vertueux de la fidélité de ses partenaires. Cet impératif n’a rien à voir avec le mécénat d’entreprise, qui est du registre de la générosité facultative. Même si l’on peut intellectuellement classer la philanthropie dans le volet de la maximisation des externalités positives, avec l’arrière-pensée de la compensation des effets (un peu comme on le dit de la compensation des émissions de CO2).
Le cynisme. Beaucoup de décideurs et dirigeants du monde économique sont empreints d’un biais cognitif : leur croyance absolue dans l’automaticité et l’universalité des bienfaits du système libéral à base d’économie de marché et de capitalisme financier - qui les a placés là où ils sont - les empêche d’intégrer en profondeur les paramètres extra-financiers et la notion de long terme. Croire et faire croire que la RSE se limite à la philanthropie est une manière de nier et d’évacuer ce sujet contrariant. A l’instar de la philanthropie à l’américaine, avec ses galas de charité, ou bien des indulgences religieuses, qui permettent de se racheter une conscience à peu de frais, tout se passe comme si l’entreprise cherchait à redorer son image en détournant l’attention de son activité quotidienne.

Mais voilà que tout se complique. Depuis quelques années, cette saine séparation entre la poche droite (la responsabilité comme source de profit pérenne) et la poche gauche (la générosité, qui doit rester discrète) s’estompe. De nouveaux concepts, comme toujours venus d’outre-Atlantique, déplacent les frontières et introduisent un continuum : ils s’appellent bénévolat et mécénat de compétences (une manière innovante de valoriser les talents des collaborateurs, notamment ceux des seniors), partenariats ONG, financement et accompagnement des réseaux d’entrepreneurs sociaux, ‘philanthropic venture’, fonds de développement, ‘impact invest’, ‘capacity building’, base-de-la-pyramide…L’innovation sociale propose à l’entreprise de multiples voies pour renouveler ses modèles de développement. Elles vont bien au-delà des pratiques françaises actuelles, qui se limitent généralement à inciter les collaborateurs à donner de l’argent à une cause choisie par l’entreprise (comme s’ils étaient incapables de le faire par eux-mêmes dans leur vie privée)….ce qui n’est d’ailleurs en rien un indicateur d’un management responsable des employés.

Clarifier les concepts, réfléchir sur le fond des choses, s’interroger sur sa place dans la cité, développer une vision holistique du monde, remettre en cause les dogmes…sont des pré-requis indispensables à l’action de l’entreprise du 21ème siècle. Pour répondre à la demande de sens et pour reconquérir le désir des hommes d’entreprendre ensemble.

20 décembre 2009

Les leçons de Copenhague

Alors que les Chefs d’Etat représentent (la plupart du temps démocratiquement) leurs citoyens et que tous les citoyens du monde (ou presque) ne veulent pas d’un chaos climatique qui affecterait leurs conditions de vie ou celle de leurs enfants, ils ont échoué à trouver un accord. Pourquoi ? Parce que, sous l’effet de la mondialisation voulue par les décideurs, tous les pays du monde sont en guerre. En guerre économique, les uns contre les autres.
Les Chefs d’Etat sont-ils sous influence des grands lobbies industriels, notamment ceux liés au secteur énergétique, qu’ils soient producteurs ou gros utilisateurs ? Du moins de ceux, parmi eux, qui s’imagineraient que transformer leur outil de production, adapter leurs business models, remplacer la quantité par la qualité, trouver de nouveaux marchés à l’étranger… affecterait la rentabilité servie à leurs actionnaires. Les beaux discours sur l’innovation créatrice de valeur ne seraient-ils pas sincères ? Et que valent-ils devant la facilité des délocalisations ?
Mais qui peut croire que les intérêts des grandes entreprises sont nationaux ? Les multinationales n’ont pas de patrie, comme le capitalisme. Qui peut encore prétendre que Total est une entreprise française et Arcelor-Mittal une indienne ? Non, fausse piste, les raisons de l’échec sont à chercher ailleurs. Les Chefs d’Etat ne savent tout simplement pas comment découpler la croissance économique de leur pays et la préservation de l’environnement (qu’il soit local ou global), sur la durée d’un mandat électoral. Ils ne veulent pas d’une contrainte supplémentaire qui accentuerait le chômage dans les pays industrialisés ou freinerait le développement de ceux du Sud. Car, les chômeurs d’un côté, et les pauvres de l’autre, sont aussi des électeurs, autant que des sources d’ennuis. Les problèmes d’aujourd’hui ont plus de poids que ceux de demain. En donnant la préférence au présent de leurs électeurs, les élus renoncent à faire des calculs d’actualisation du bien-être sur le long terme. Ici et maintenant, chacun pour soi.
La terre n’est pas plate, elle est morcelée en une multitude d’îlots d’intérêts et d’égoïsmes privés (bien plus que 192). Dans ces conditions, la théorie des jeux (je n’avance que si tu avances, et réciproquement), appliquée à la problématique du bien commun, nous apprend qu’il n’y a que deux scenarios : « tous ou personne ». On s’en sort tous ensemble ou bien tout le monde coule sur le Titanic, les riches comme les pauvres.
Qui pouvait être assez naïf pour croire que l’usine à gaz onusienne, qui permet à chacun des 192 pays - quelle que soit son influence sur le monde - de mettre indéfiniment son grain de sel et le transformer en grain de sable, pouvait faire converger des intérêts privés vers l’intérêt général ? Si l’on savait gouverner le monde en l’absence de gouvernement mondial, cela se saurait et le problème de la faim dans le Sud - qui bizarrement fait couler beaucoup moins d’encre que celui du climat… - serait résolu depuis bien longtemps.
Toute l’Histoire, depuis les gallo-romains jusqu’au plan Marshall (et, espérons-le un jour, le conflit israélo-palestinien) , nous apprend qu’il n’y a qu’une seule issue pour la paix : comme les vainqueurs avec les vaincus, les forts doivent aider les faibles. En matière de climat, comme en matière de développement, le Nord doit aider le Sud.
Les gens ne veulent pas de la guerre économique, d’une mondialisation qui écrase les salaires et précarise les emplois des occidentaux même si, dans le même temps, elle sort de la pauvreté trois cent millions de chinois. Mais les chinois eux-mêmes veulent-ils d’un développement qui rend leur air irrespirable, leur eau polluée et leurs campagnes désertifiées ? Personne ne leur demande leur avis.
La vie serait douce si l’on ne nous forçait pas à lutter les uns contre les autres. Demain, nous demandera-t-on de construire des murs anti-réfugiés climatiques ?
Copenhague nous interroge : toujours chercher à qui profite le crime ?

2 décembre 2009

L'argent responsable

Les banques, ou certaines d’entre elles - ou certains acteurs financiers - sont accusées par toutes les opinions publiques d’avoir fichu la planète en l’air et généré la plus grave crise économique depuis près d’un siècle. Le thème de l’argent responsable est à la une de tous les medias et l’image des banquiers est au plus bas. Décortiquons cette notion de responsabilité pour la finance.


Le rôle de la banque est de financer l’économie, c’est-à-dire de permettre aux personnes (physiques et morales), via l’argent qu’elle leur prête et la gestion de leur épargne, de réaliser leurs projets de vie. Au-delà du caractère universel de son objet social (tout le monde a un compte en banque), le service qu’elle rend ainsi à la société est inestimable et dans l’échelle de classement de la valeur des activités humaines selon leur utilité sociale, elle se situe sans conteste dans le haut de la liste (en tout cas au-dessus des fabricants de tabac, par exemple).

En agglomérant des millions de demandes unitaires, la banque permet aux lois statistiques des grands nombres de jouer en faveur de la mutualisation des risques, du lissage des volatilités des couples offre-demande, de l’optimisation des allocations de capitaux et de la diminution des coûts de transactions. Elle crée ainsi une sorte de chaîne de solidarité économique entre acteurs, à l’instar d’un assureur (où les primes des uns payent les sinistres des autres). Cette interdépendance peut s’avérer la meilleure (les dépôts des uns permettent les crédits des autres) ou la pire des choses (lorsqu’elle se transforme en pyramide mondiale de Ponzi). Cela dépend des critères de transparence et des garde-fous que leurs régulateurs imposent aux banques mais aussi de leur propre conception de leur responsabilité.

Car, comme pour toutes les autres activités, il y a différentes façons d’exercer le métier, plus ou moins responsables. Au-delà du strict respect des règlementations (la banque est une des activités les plus règlementées au monde), la responsabilité de la banque vis-à-vis du client emprunteur ou épargnant s’exprime en termes de transparence des conditions et tarifs, accessibilité et égalité d’accès aux produits et services, équité de traitement, pertinence des conseils adaptés aux situations personnelles (appétit / aversion au risque, horizon de temps, liquidité…). La question qu’est en droit de se poser chaque client est : ma banque agit-elle dans mon intérêt ? Or, chacun peut constater qu’en matière de satisfaction client, toutes les banques et tous leurs agents n’ont pas encore atteint l’excellence. La responsabilité par la qualité est un long chemin de progrès.

Mais désormais, les frontières de responsabilité sont repoussées encore plus loin par les sociétés civiles et les opinions publiques.
Qu’il s’agisse d’épargne liquide (noyée dans le grand chaudron des marchés du loyer de l’argent) ou des OPCVM, de l’assurance-vie, des titres en direct, du private equity, du capital venture, la banque n’est jamais qu’un intermédiaire (sauf exceptions, souvent conjoncturelles et temporaires, la banque n’a pas vraiment « d’argent à elle ») : à travers ses accès aux marchés financiers, l’argent des investisseurs va dans les entreprises ou finance les emprunts d’Etats, au service de la croissance privée ou publique.

Or aujourd’hui, certains épargnants s’intéressent à la destination finale de leur argent : les bénéficiaires ultimes ont-ils une utilité sociale, quelle est la nature de leurs impacts sur l’environnement et la société, leur façon de conduire les affaires est-elle propre ? Ils demandent à leur intermédiaire financier de leur proposer des supports qui prennent aussi en compte ces critères de responsabilité éthique, sociale, environnementale et de bonne gouvernance. Qu’il s’agisse d’ISR, de fonds thématiques environnementaux, de produits de partage ou solidaires, etc…il est de la responsabilité de la banque de stimuler cette demande naissante et de répondre au besoin de pédagogie en matière de traçabilité de l’épargne.

De même, si la banque n’est pas responsable des disparités de fiscalités entre pays, formatrices de paradis fiscaux, elle doit s’interroger en permanence sur les frontières entre l’optimisation et l’évasion.

Sur le volet des financements, les enjeux sont totalement symétriques : les projets, actifs, activités financés ont-ils des impacts négatifs sur la société et l’environnement ? La banque responsable doit mettre en place des dispositifs d’évaluation des dossiers de crédits qui prennent en compte les risques environnementaux et sociétaux. A la fin de la journée, assumer ses responsabilités, c’est signer en bas de la page en toute connaissance de cause.

Idem pour les activités de marchés : le trading pour compte propre, la confection de produits complexes basés sur des modèles mathématiques opaques, le jeu des effets de leviers, la préférence pour le court terme, les paris de casino, les spéculations des traders sur les marchés des matières premières agricoles …doivent désormais démontrer non seulement leur innocuité mais surtout leur utilité sociale.

Les banques ont une responsabilité phénoménale sur la marche du monde. Le défi de l’argent responsable est certainement l’un des plus stratégiques pour la banque de demain et la restauration durable de son image et de sa réputation. Relevons-le !

16 novembre 2009

Réinventons l'Investissement Socialement Responsable

L’ISR est un concept flou et incompréhensible pour l’épargnant de base. Madame Michu - dont la culture financière est malheureusement trop faible - est d’abord victime de l’opacité du monde des OPCVM. Un demi-siècle après leur invention, plus de 90 % de nos concitoyens n’en possèdent pas (en direct) et le taux de détention des OPCVM actions plafonne à 5 %. Au-delà de la saine aversion des français aux casinos boursiers (qui a limité les dégâts de la crise sur leur patrimoine), les raisons sont à rechercher dans la relative inefficacité du marketing mix : (i) des performances qui suivent grosso modo les fluctuations des marchés (combien de gérants battent leur indice de référence ?) et qui sont obérées par les commissions (forcément plus élevées quand il y a deux intermédiaires à rémunérer : le réseau d’agence et le gestionnaire) et la fiscalité (ii) les « tambouilles » des gérants (entrées et sorties des valeurs qui composent les paniers) perçues comme peu transparentes par les porteurs (iii) le produit du mois, poussé par le réseau, qui serait toujours meilleur que le produit du mois précédent (iv) le produit maison, forcément supérieur à ceux des concurrents. Les soi-disant fonds à promesse et les fonds dynamiques (truffés de subprime toxiques) ont achevé de dégoûter les derniers gogos.


Au sein de ce petit monde, l’ISR n’occupe qu’environ 1 % du marché. Une niche dans la niche. Et pourtant, l’ISR recouvre à lui seul une collection hétéroclite de processus de gestion. On y trouve la gestion par exclusion (sans doute la plus compréhensible), venue du puritanisme américain : à la demande de congrégations religieuses ou autres associations d’épargnants qui ne veulent pas investir dans des secteurs particuliers (alcool, tabac, armement, pornographie..), des fonds d’exclusion ont été créés (surtout aux US). L’ISR recouvre aussi la gestion dite best-in-class, qui sélectionne les soi-disant meilleurs élèves de la classe d’actions considérée, du point de vue de la responsabilité - environnementale et sociale - de l’entreprise (RSE). Les bons et les mauvais points sont donnés par les analystes ISR des gestionnaires et les agences de notation extra-financières, selon des méthodologies peu matures, changeantes, empreintes de biais cognitifs et de partis pris idéologiques (le nucléaire, c’est mauvais), sur base d’informations publiques ou de réponses fatiguées à des questionnaires mal ciblés. Juger objectivement du degré de responsabilité d’une multinationale de plus de 100 000 collaborateurs dans 100 pays est très difficile donc très coûteux, tant les axes d’analyse sont nombreux, les données internes difficiles à obtenir et interpréter (les jeunes analystes des agences de notation n’ayant généralement jamais mis les pieds dans une entreprise). Ainsi Mme Michu, si elle est influencée par les campagnes de dénigrement de certaines ONG environnementalistes, ne comprendra pas pourquoi on trouve TOTAL - fleuron du CAC 40 et symbole de la réussite française - au sein de fonds dits éthiques (l’éthique n’ayant d’ailleurs absolument rien à voir avec le sujet). Même si son plus cher désir serait de voir son fils embauché par TOTAL et si elle n’a rien trouvé de mieux à mettre que de l’essence dans le réservoir de son automobile. On n’est pas à une contradiction près.

Cohabite aussi dans l’ISR la forme dite de l’engagement actionnarial, où les gérants de fonds accomplissent l’exploit d’exercer leurs droits de vote aux assemblées générales, avec le succès qu’on imagine.

Certains classent également dans l’ISR, les fonds dits thématiques comme les valeurs « vertes ». Comme si le fait d’être leader mondial du traitement des déchets signifiait automatiquement que l’on traite ses sous-traitants conformément aux Droits de l’homme.

Sont aussi déclarés cousins de l’ISR, les microscopiques fonds solidaires, où 5 à 10 % (waouh !) des montants sont investis dans des organisations labellisées « solidaires » et les fonds de partage où l’épargnant rétrocède une partie de ses revenus à des associations caritatives, sorte de philanthropie.

Enfin, d’aucuns prétendent que la finance islamique serait un compartiment de l’ISR, tant le mot responsabilité est un mot-valise qui voyage jusque dans les contrées des dogmes religieux. A contrario, financer le logement social ne serait pas responsable, puisque le microcosme de l’ISR exclut des produits comme le Livret A.

Fonds éthiques, fonds développement durable, fonds responsables, fonds verts, fonds solidaires, fonds religieux….on mélange tout et Mme Michu n’y comprend plus rien (ne lui parlez pas en plus d’ISR monétaire). Bref, une minitour de Babel, faite de sectes et de multiples forums créés pour promotionner leurs organisateurs. Cette confusion doit justement inciter les banques à déployer des trésors de pédagogie pour expliquer à leurs clients où va leur argent et son utilité sociale.

Pendant ce temps-là, les analystes financiers, imperturbables, font tourner leurs tableurs Excel avec leurs sempiternels Discounted Cash Flows. Mais ceux qui ont participé à l’avant-dernière vague de destruction de valeur mondiale en valorisant les modèles fumeux de la bulle internet n’ont pas de leçons à donner.

La cible est pourtant connue : c’est l’enrichissement du mainstream par incorporation dans les analyses financières des critères de responsabilité, en tant que sources de création ou de destruction de valeur (par non maîtrise des risques opérationnels), comme c’est déjà le cas pour certains paramètres extra-financiers (pertinence de la stratégie commerciale par exemple). L’entreprise est une boîte noire qui extériorise des résultats, selon des règles comptables mouvantes, non universelles et interprétables. La mesure de la bonne adéquation entre les moyens et les résultats passe par l’évaluation de sa capacité à fidéliser chacune de ses parties prenantes et à leur redistribuer équitablement la survaleur créée. Et ce, sur le long terme.

Je propose en effet de compléter le concept de responsabilité par celui de durée-fidélité. Les entreprises ont besoin d’actionnaires stables, capables de les aider dans leur croissance. Leur fidélité doit être reconnue et valorisée. L’économie française et européenne a besoin d’épargne longue, plus pour des raisons structurelles (la démographie) que conjoncturelles (la crise). La problématique fondamentale des retraites exige des solutions de protection des épargnants long terme, qui soient incitatives pour les jeunes épargnants et qui mutualisent efficacement les risques avec les vieux. Ces incitations doivent provenir d’une adaptation du cadre institutionnel, comptable, règlementaire et fiscal, au plan européen. Travaillons à ce nouveau référentiel harmonisé, créons un statut pour un produit d’épargne long terme paneuropéen (voire un label ou une certification pour rassurer Mme Michu ?).

Donner une prime au long terme, réduire la volatilité, construire un destin économique commun, créer de la confiance et du lien durable entre les acteurs, c’est la condition pour qu’aucun investissement ne soit jamais irresponsable et qu’on assiste un jour à la victoire des pères de famille sur les spéculateurs.

19 septembre 2009

Pourquoi la responsabilité d'entreprise crée de la valeur

Existe-t-il encore des décideurs qui ne seraient pas totalement convaincus qu’il est de l’intérêt économique de l’entreprise de se comporter de façon responsable ? Les éternels sceptiques et quelques négationnistes du développement durable auraient du mal à défendre que des comportements irresponsables ou qualifiés comme tels par certains (c’est bien là tout le problème) créent de la valeur sur la durée.
La responsabilité d’entreprise, c’est d’abord de la bonne gestion : diminuer les risques opérationnels, réduire les gaspillages, saisir les opportunités commerciales des nouveaux marchés du développement durable (technologies propres, énergies renouvelables, bas-de-la-pyramide…), stimuler l’innovation via la diversité dans l’entreprise, nouer des partenariats avec la société civile, anticiper les inévitables durcissements des règlementations afin de créer les standards de demain… La responsabilité sociale et environnementale (RSE) offre aujourd’hui des occasions historiques de diminuer ses risques et ses frais généraux, autant que d’augmenter son chiffre d’affaires.
La RSE s’appuie sur l’écoute des parties prenantes et la recherche de leur satisfaction : écouter ses clients pour répondre à leurs besoins est la base de la bonne gestion de toute organisation commerciale. La théorie de la RSE prétend que c’est aussi le cas pour chacune des autres parties prenantes. C’est là que les choses se compliquent, du fait de la grande hétérogénéité des différents groupes de partenaires (alors que le marketing a inventé la segmentation clientèle). S’agissant de la partie prenante « personnel », mesurer les ressorts de motivation de chaque salarié, rémunérer les efforts et résultats avec justice, donner à chacun la place qu’il mérite, éliminer les biais cognitifs en matière de discrimination…est un art difficile. Quant à la partie prenante « actionnaires », elle est formée d’investisseurs hétéroclites qui n’ont pas les mêmes objectifs de combinaisons risque-rentabilité-durée et qui votent avec les pieds. Les fournisseurs, eux, sont encore trop peu écoutés et trop souvent pressurisés. Enfin, la société civile, influencée par les medias, veut tout et son contraire.
L’objectif de la RSE est de renforcer l’attractivité de l’entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes, en les traitant avec loyauté et transparence et en instaurant des rapports de confiance dans la durée. De mon point de vue, la clef s’appelle fidélité : fidéliser ses clients est beaucoup plus rentable que d’avoir à en conquérir de nouveaux, fidéliser ses collaborateurs coûte moins cher que de gérer démissions, embauches et formations en permanence, fidéliser ses actionnaires aussi, nouer des partenariats avec ses fournisseurs idem ...
Chaque fonction de l’entreprise doit donc s’interroger sur ce que signifie le mot responsable pour elle-même (marketing responsable, communication responsable, vente responsable, achats responsables, finance responsable …) et comment créer cette fidélité.

Mais le véritable enjeu réside dans la répartition de la valeur, tant dans l’espace que dans le temps.
Dans l’espace. Comment rétribuer équitablement chaque partie prenante alors que l’intérêt des uns est en conflit naturel avec celui des autres ? La partie prenante la plus délicate à traiter d’un point de vue économique s’appelle société ou environnement, puisque les externalités négatives, non payées par l’entreprise, doivent être évaluées à l’aune de leurs impacts sur sa réputation, afin d’être compensées. Même si aucune entreprise ne peut se développer durablement dans un environnement dégradé, jusqu’où contribuer à la réparation des dégradations, causées par elle et par tous les autres acteurs ?
Chaque fonction chargée d’une partie prenante travaille séparément, en faisant de son mieux (le marketing gère les prix, la RH les salaires, les achats les coûts fournisseurs, la Direction financière le dividende, le mécénat les dons …), mais très peu d’entreprises ont une gestion globale des priorités, des conflits d’intérêt et de la répartition de la valeur, qui soit véritablement multi parties prenantes.
Dans le temps. L’articulation du conflit court terme - long terme est aussi un exercice difficile (tant dans l’entreprise qu’au niveau des Etats ou de chaque individu). Faut-il réaliser telle action qui créerait de la valeur immédiatement mais au détriment du long terme ? Réduire les investissements en formation du personnel génère un effet positif immédiat sur les comptes mais vraisemblablement un impact négatif à long terme si les compétences des employés ne sont pas entretenues. Idem pour la modernisation de l’outil de travail. Arbitrer entre court et long terme est une des missions essentielles des dirigeants.

En fin de compte, la RSE n’est rien d’autre que du management intelligent. Actionner efficacement le levier de profitabilité qu’est la RSE nécessite trois facteurs clefs de succès. Innover dans les méthodes de questionnement stratégique et de résolutions de dilemmes. Des compétences managériales multidisciplinaires de haut niveau. Et - cela va sans dire - des dirigeants au comportement éthique irréprochable.

Halte au greenwashing !

Au secours ! Après des années d’ignorance voire de déni, le marketing, la communication et la publicité viennent de découvrir le développement durable. On peut s’attendre au pire. Il suffit de regarder les publicités dans nos journaux pour de grosses cylindrées émettant 200 g de CO2 par km, qualifiées de responsables ou de durables. Le marketing, dont la fonction est, par essence, de susciter les besoins, de pousser à l’hyperconsommation et de vendre du rêve, vient de comprendre l’intérêt de surfer sur la vague. Il vise désormais bien au-delà du marché des bobos, qui achètent en mai leurs pommes bio venues d’Argentine, 40 % plus cher. Tout est désormais vert, tout est durable, tout est responsable, on mélange tout. Le développement durable serait à la mode, c’est à dire éphémère, bel oxymore ! Déjà que le concept, holistique par construction, était difficilement appréhendable par les esprits cartésiens de nos décideurs, voilà que le développement durable serait partout, comme Jésus. Pas étonnant que ses partisans les plus fervents soient parfois considérés comme membres d’une secte religieuse, qui croie au développement durable, sphère de l’aspirationel, du subjectif et du qualitatif. Alors que le développement durable est une démarche de progrès continu, basée sur des faits et chiffres (et non des opinions), méthodique, professionnelle, complexe (à la croisée de plusieurs disciplines scientifiques) et collégiale, dont la finalité est de créer, dans la durée, un surcroît de valeur à partager équitablement.
Le risque est grand de susciter l’incompréhension puis le rejet du bébé avec l’eau du bain. Et de donner raison aux derniers négationnistes qui font semblant de croire que le développement durable est, au mieux, une idéologie de baba-cool du Larzac, au pire, une alternative au libéralisme. Evitons de réduire à néant les laborieux efforts des Directions du développement durable de nos entreprises, qui depuis une dizaine d’années, s’échinent à convaincre leur management que le développement durable est une machine à créer de la valeur et non un moyen de s’acheter une belle image. Et de freiner la capacité d’innover et d’entreprendre des solutions nouvelles. Les entreprises doivent faire d’abord et dire ensuite. Dans cet ordre.
Toute manipulation de l’opinion est une opération dangereuse, où tout le monde risque d’y perdre, et au premier chef, la réputation de l’entreprise. Alors que la période de crise que nous traversons, qui trouve son origine dans l’irresponsabilité, l’incompétence et la cupidité, devrait au contraire nous ramener aux fondamentaux, à l’éthique et à la transparence.
A voir l’emballement médiatique et les réactions d’extrême naïveté que suscite un récent film documentaire (pas différent de la demi-douzaine qui l’ont précédé), les bras nous en tombent ! Après 90 mn de belles images (ouf, on découvre que la terre est belle), puis 3 mn d’éoliennes sur fond de soleil couchant, le message est qu’il faut couper l’eau du robinet quand on se lave les dents. Alors que 80 % du gaspillage vient de l’agriculture intensive, sponsorisée par la politique agricole commune. On nous demande de consommer différemment, voire de consommer moins (en oubliant au passage le consommateur du Sud…), alors qu’il s’agit de produire différemment. Le développement durable n’est pas une question de demande mais un problème d’offre.
D’abord, le consommateur dispose d’un pouvoir d’achat de plus en plus comprimé : le revenu salarial moyen a baissé en France entre 1978 et 2005 (explosion des emplois précaires) ! Ensuite, il a rarement le choix. Quand il n’y a pas de transports en commun décents de banlieue à banlieue, quand on ne sait pas réfléchir collectivement aux problématiques imbriquées du transport et de l’urbanisme, doit-on culpabiliser le travailleur parce qu’il préfère endurer plusieurs heures d’embouteillages quotidiens, dans une voiture qui n’est pas électrique puisqu’elle n’existe pas ?
Les entreprises ne mettront à leur catalogue des offres performantes au plan environnemental et social, que si l’Etat, gardien du bien public, les invite à payer les coûts de leurs externalités, par un bon dosage entre les trois seuls moyens à sa disposition : la réglementation, la taxe ou l’organisation des marchés.
Le développement durable est une question économique et politique. Un choix de société et de civilisation est une affaire un peu trop sérieuse pour la laisser aux mains des régies publicitaires ou des cinéastes animaliers.

(1) blanchiment écologique

30 avril 2009

Le prix à payer

Comme prévu par le Grenelle de l’environnement, les pouvoirs publics et les acteurs de la société civile s’apprêtent à travailler ensemble sur le sujet de la « contribution climat-énergie ».
Une partie du secteur industriel est déjà soumis au marché dit « cap & trade » de quotas de CO2, alors que le reste et le secteur dit « diffus » (l’essentiel des émissions) y échappent.
Partisans des quotas et défenseurs de la taxe carbone vont s’affronter. Quelles que soient les modalités qui seront éventuellement retenues (de leur côté, les Etats-Unis vont, semble-t-il, opter pour les quotas), il conviendra qu’elles s’appuient sur des principes directeurs et une gouvernance. Je propose 8 piliers pour une sagesse carbone.

1er principe, d’équilibre : aucun marché ne peut, à lui seul, internaliser spontanément les coûts des externalités négatives (ni d’ailleurs les bénéfices des externalités positives). Les instruments économiques actuels ne savent pas travailler automatiquement de façon optimale pour le bien public : étroitesse et cloisonnement des marchés de permis, hétérogénéité des incitations fiscales, trop forte sensibilité aux cycles économiques et aux différentiels de rythme entre les économies des 3 pôles (OCDE, BRIC, PED), divergences des intérêts nationaux et corporatistes, contre-productivité des effets des lobbies industriels et des positions oligopolistiques, coûts très élevés des transactions de marchés et de la bureaucratie (particulièrement au démarrage compte tenu de la faiblesse des volumes), effets d’aubaine, mouvements spéculatifs, manipulations de cours voire corruption des autorités…
Ce qui est vrai pour le marché l’est aussi pour le progrès technique. Il n’y a aucune raison pour que l’innovation technologique soit - du point de vue du climat - intrinsèquement « vertueuse » (le summum du progrès humain de notre civilisation de l’automobile ayant consisté à faire acheter des 4X4 à des citadins).
D’une manière ou d’une autre, et sans prononcer le gros mot d’économie administrée, l’intervention coordonnée des Etats éclairés est donc indispensable pour fournir le signal-prix dont les acteurs économiques ont besoin.

2ème principe, de cohérence : le nouveau dispositif doit s’intégrer harmonieusement dans un paysage déjà diversifié (voire confus) où de multiples instruments économiques incitent (plus ou moins efficacement) aux énergies renouvelables et aux technologies propres (tarifs de rachat de l’électricité verte, certificats verts, certificats d’économie d’énergie, TVA différenciée, bonus-malus…). Sans créer de distorsions (pas besoin de nouveaux paradis fiscaux verts…) et sans nous faire oublier l’objectif prioritaire de l’amélioration de l’efficacité énergétique, pour laquelle la réglementation, in fine, reste indispensable (personne ne s’interroge sur la valeur d’une molécule de CFC, désormais interdite). Dans tous les cas, un mécanisme d’ajustement aux frontières pour inclure le carbone importé devra être pris en considération, afin d’éviter les distorsions de concurrence internationale.

3ème principe, de lisibilité, progressivité et prédictibilité : le taux du Livret A est fixé par une formule mathématique (même si l’Etat, dans sa grande sagesse, peut y déroger dans l’intérêt général). La valeur carbone est liée aux objectifs globaux de réduction que les pays doivent se fixer, aujourd’hui une division par 2, au moins, des émissions mondiales de CO2 en 2050. Mais aussi à la pente de la courbe, car plus on tarde à agir plus on accroît le surcoût pour demain. La formule de prix doit intégrer (i) les évolutions des prix des énergies fossiles en les contrebalançant (sur le long terme, ils ne peuvent qu’augmenter, de par la diminution programmée de l’offre), avec un amortisseur de chocs (ii) un coefficient de progression dans le temps et selon les quantités (iii) un taux d’actualisation qui prennent en compte un degré de qualité de vie acceptable pour les générations futures.

4ème principe, d’efficacité : mieux vaut inciter l’amont (upstream), c’est-à-dire les producteurs, s’ils ont la possibilité de faire évoluer leur outil de travail et de faire jouer la concurrence verte entre leurs fournisseurs, sachant qu’une partie des coûts seulement sera répercutée sur l’acheteur final (effets de la concurrence et de l’innovation), que l’aval (downstream), c’est à dire le consommateur, lorsque celui-ci ne peut faire jouer les effets de substitution, à prix équivalent, s’il n’a pas le choix ou si son pouvoir d’achat ne lui permet aucune marge de manœuvre. A moins qu’un mécanisme redistributif équitable ne soit efficacement mis en place.

5ème principe, de redistribution : les sommes collectées (via la taxe ou via le revenu des enchères de 100 % des quotas ) doivent être réinjectées dans l’économie de l’environnement (et non se substituer budgétairement à une autre taxe, comme la taxe professionnelle), que ce soit directement, en les redistribuant équitablement à chaque citoyen (pour éviter les effets d’éviction sociale), ou indirectement, en subventionnant la recherche, l’innovation et les investissements dans les énergies sans carbone et la maîtrise de l’efficacité énergétique, à due proportion des efforts et résultats des acteurs vertueux.

6ème principe, d’universalité : 1 tonne de carbone ayant le même impact sur le climat, d’où qu’elle soit émise et par n’importe qui, le prix doit s’appliquer de façon homogène à l’ensemble des catégories d’acteurs et à l’ensemble des acteurs dans chaque catégorie. Le carbone est une monnaie, la monnaie doit être fongible et universelle (one dollar is one dollar). Certes, les coûts marginaux de réduction des émissions sont variables en fonction des secteurs de l’économie. Mais d’abord, personne n’oblige les entrepreneurs à rester faire carrière dans la fabrication de rejets toxiques. Les ruptures technologiques les forcent régulièrement à se reconvertir (qui pleure encore le sort des fabricants de calèches ?), pourquoi pas les ruptures écologiques ? Ensuite, un cloisonnement du dispositif par secteur limiterait la fluidité et l’efficacité des effets de masse du marché. Enfin, prétendre que réduire ses émissions serait forcément toujours coûteux est erroné. Au contraire, dans bien des cas, réduire ses consommations, transformer son business mix pour proposer des produits décarbonés sur des nouveaux marchés, ou mieux, passer du cycle rigide et coûteux ‘extraction-fabrication-transport-distribution-consommation-destruction’ à une économie de fonctionnalité circulaire, basée sur l’usage et des nouveaux services, est économiquement avantageux.

7ème principe, de réalité et adaptabilité : si la formule mathématique de fixation du prix du carbone doit être connue de tous les acteurs, le régulateur doit prévoir, à échéances régulières, d’en actualiser les paramètres, en fonction notamment de l’avancée des sciences et d’une meilleure connaissance des coûts (des préjudices et de leur réduction). Les phénomènes climatiques ne sont pas linéaires (ce qui est difficile à appréhender pour l’esprit humain), mais sujets à emballement une fois dépassés les seuils critiques. Lorsque les conséquences risquent l’irréversibilité, le principe de précaution doit se retrouver dans les chiffres.

8ème principe, de gouvernance (qui nous ramène au 1er) : le carbone est une nouvelle monnaie, toute monnaie doit être gérée par une Banque Centrale éclairée, chargée, en jouant sur la masse monétaire en circulation, de contribuer à une répartition équitable des effets de richesse entre les acteurs et dans le sens de l’intérêt général. Les partisans de la thèse du prix plafond ne manqueront pas de lui donner le droit de fixer des limites, comme le taux de l’usure, la vente à perte ou la vitesse sur les routes. Le principe s’applique aussi si c’est la taxe qui est choisie, le gouverneur, appelons-le OMC (Organisation Mondiale du Carbone), étant chargé de répartir équitablement le produit de la taxe entre les pays. A l’heure où les paradis fiscaux semblent disparaître, si on rêvait à une première harmonisation fiscale mondiale pour la survie de l’humanité ?

Même si les scientifiques n’osent pas encore affirmer publiquement que le seuil fatidique des 2 degrés d’accroissement de la température moyenne sera dépassé, tous les voyants sont dans le rouge. Le changement climatique qui s’annonce risque d’affecter voire de détruire des millions de vies humaines. Il reste un prix que ce propos se refuse à chiffrer : quel est le prix d’une vie humaine ?

14 mars 2009

Parution de l'essai "Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation" aux Editions de l'Aube

Je vous invite à lire mon essai "Responsabilité d'entreprise et éthique son-elles solubles dans la mondialisation", paru aux Editions de l'Aube le 12 mars 2009.
En vente dans toutes les bonnes librairies, comme par exemple :

http://recherche.fnac.com/search/quick.do?text=philippe+laget+responsabilit%E9+%E9thique&category=book&bl=HGACrera&submitbtn=Ok