Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?

Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?
Aux Editions de l'Aube

12 mai 2012

Vous avez dit croissance ?

Jusqu’à aujourd’hui, parmi les préceptes intangibles de l’idéologie néolibérale, on trouvait le fétichisme de la croissance. Avec d’ailleurs, comme à l’accoutumée, un raisonnement erroné et surtout de mauvaise foi dans le discours officiel des prêtres libéraux (in petto bien sûr, ils n’en pensent pas un mot) : la croissance serait un moyen, un levier qui se pilote, elle apporterait réduction du chômage et distribution des richesses par ruissellement (théorie fausse et éhontée du trickle down). Alors que la vérité est à l’opposé : la croissance n’est pas un moyen, ce n’est même pas un objectif mais un résultat, qui se constate seulement après coup comme conséquence complexe des politiques publiques pluriannuelles et des processus d’innovation. Souvent d’ailleurs avec une ou plusieurs années de retard, après de multiples corrections, tant les systèmes statistiques sont imparfaits. Compte tenu de la forte inertie des comportements des agents, des décisions macroéconomiques prises plusieurs années auparavant (donc souvent sous une législature politique différente) n’auront d’impacts que sur la durée. Ce n’est pas la croissance qui crée l’emploi, c’est la diminution du chômage qui crée de la croissance. De même que les politiques d’augmentations salariales et de soutien au défavorisés génèrent la croissance de la consommation. De plus, la composante démographique essentielle n’est jamais prise en compte par les analystes orthodoxes (on ne voit pas pourquoi un pays dont la population active diminue – ce qui va être le cas de beaucoup de pays de la vielle Europe – devrait voir automatiquement son PIB augmenter). Enfin, la croissance ne mesure pas la réalité : travail informel non comptabilisé (de l’ordre de 12 % du PIB pour le travail non déclaré, plus le travail des retraités et des bénévoles), impacts positifs sur le PIB des externalités négatives (destructions diverses), dégradations du patrimoine naturel non pris en compte. Il n’y a donc pas de bouton « croissance » en tant que tel, que l’on pourrait régler et encore moins sur lequel on pourrait appuyer.

Mais même ce vieux mythe de la croissance est tombé. Mme Merkel, dirigeante européenne des plus libérales d’un grand pays, vient d’avouer qu’elle n’en veut pas. Littéralement. Mme Merkel ne veut pas de croissance, elle veut de l’austérité pour les peuples, et surtout pour les autres. C’est tout simplement que le capitalisme financier n’a pas besoin de croissance. Les masques sont enfin tombés. Les super-riches, qui dirigent les banques et les multinationales, ne connaissent pas la crise. Pour eux, la crise n’existe pas : profits, bonus et stock-options ont rarement autant augmenté. Même quand on a envoyé son entreprise dans le mur (cas notamment des patrons de Groupama et de Dexia), on s’en va avec des millions d’euros d’indemnités. Tout va très bien Mme la Marquise Bettencourt. Pas besoin de croissance pour s’enrichir. Le système fonctionne à merveille : création d’un chômage de masse (via la politique monétariste des banques centrales et les délocalisations), donc écrasement des salaires, donc augmentation des dividendes d’une part et endettement généralisé des ménages d’autre part, donc dissémination de produits financiers toxiques à base de cette dette (subprimes notamment), donc profits boursiers d’une part et expropriations des ménages à bon prix d’autre part (n’oublions pas de mentionner également l’accaparement inique des terres agricole), donc sauvetage des banques par l’endettement des Etats à taux prohibitifs, donc spéculation contre la dette des Etats et nouveaux profits, donc exigence de réduction des dépenses publiques à destination des pauvres, donc privatisation des services publics (santé, éducation, transports, assistance, …). Après les particuliers, cet endettement généralisé des Etats permet de les fragiliser, puis de les racheter, tout simplement. Les bénéfices gigantesques à tirer de la privatisation du monde n’ont pas besoin de la croissance. Une Espagne à 52 % de chômage des jeunes ne gêne aucunement les spéculateurs et les multinationales, tant la masse des pauvres à spolier est profonde. Le rêve du libéralisme est en train de réaliser : pour se soigner, s’éduquer, se protéger, on ne payera plus d’impôt (les fiscalités régressives menées depuis des décennies ne sont qu’un avant-goût), on achètera des services commerciaux privés. Et peu importe s’il ne reste plus assez d’argent à la fin du mois chez les ménages occidentaux pour s’alimenter ou se vêtir correctement, puisque les vrais consommateurs se trouvent dans les BRICs, avec un appétit grandissant et sans fond. Là est la croissance, qui fait tourner à plein régime les usines asiatiques à travailleurs forcés.
La machine à concentrer les richesses est parfaitement contrôlée. Ne venez surtout pas la contrarier avec ces concepts de croissance, de relance, de redistribution ou de politiques publiques. Bon courage, Mr Hollande !






8 mai 2012

Libération !

Ouf ! Plus que la joie, c’est un sentiment de soulagement et de libération qui envahit des millions de français. D’autant, qu’au final, le score aura été plus étroit que prévu. 48,4 % des suffrages exprimés pour le représentant de la droite est un chiffre qui ne peut que laisser perplexe. Même quand on sait que la France est plutôt un pays conservateur, qu’elle vieillit et que les vieux s’abstiennent peu et votent à droite, alors que beaucoup de jeunes des quartiers et ceux qui sont au plus bas de la pyramide ne votent pas ou ne sont même pas inscrits. Même quand on sait que le niveau d’éducation financière et de compréhension des phénomènes économiques qui contraignent nos vies est très faible. Même quand on sait que les médias - possédés par les Dassault, Bouygues, Lagardère, Arnault, Bolloré, Frère, de Rothschild, etc..- ont servilement mis en scène le roi sur le mode du culte de la personnalité, avec le même effet d’abrutissement-fascination sur les foules que les stupidités avilissantes des programmes de TF1.

Malgré tout, sur les presque 17 millions d’électeurs sarkozystes, la plus grande partie a donc tout de même voté pour le maître qui les a fait souffrir pendant 5 ans. Ce comportement paradoxal s’expliquait mieux en 2007 : on n’avait pas vraiment vu Sarkozy à l’œuvre (même si ses différents passages dans les ministères Chirac pouvaient facilement éveiller les soupçons de n’importe quel observateur attentif), il avait su ratisser les voix d’un Le Pen vieillissant et de moins en moins crédible, il avait joué sur l’ambivalence du mot « rupture » (les classes moyennes inférieures et les classes populaires avaient cru que cela allait signifier « du mieux » pour elles, elles allaient vite déchanter) et il avait en face de lui une candidate dont la crédibilité d’ « homme » d’Etat n’était pas complètement assurée.
Mais après 5 ans de politique en faveur des super-riches, d’une fiscalité régressive et antisociale, 1 million de chômeurs en plus, de casse organisée des services publics (destruction de 500 000 postes par la scélérate RGPP), d’accroissement de la dette de 600 milliards d’euros au profit des banques, de précarité généralisée (même les vieux voient bien que leurs petits-enfants sont au chômage - plus de 25 % - ou ne connaissent que les stages, les CDD et le précariat), d’accroissement considérable de la pauvreté et des inégalités, d’explosion des vrais prix (logement, services, énergie, transports, matières premières importées,…) face à l’écrasement des salaires, d’inique contre-réforme des retraites, ….même après cette somme de malheur terrifiante sur les épaules des plus défavorisés et des classes populaires, …le rejet radical et unanime de l’artisan de ce désastre, de la marionnette des marchés financiers, du pantin de l’oligarchie possédante, ne s’est pas produit. Pourquoi ? Au moins pour quatre raisons.

Premier point. Le règne du monarque Sarkozy s’est caractérisé par deux lignes directrices. D’une part, l’envahissement de la parole contradictoire. On dit tout et n’importe quoi (système du « plus c’est gros, plus ça passe »), puis son contraire, au gré des humeurs de ses porte-plumes, des faits divers (tel crime atroce) ou des évolutions erratiques de l’opinion (mesurée par d’innombrables sondages privés). On saoule le peuple de mots pour lui faire croire que parler c’est agir. Ainsi a-t-on construit le mythe du sauvetage de l’euro par le héros, alors que rien n’a été sauvé puisque rien n’a été fait, hormis le remplissage des coffres des banques par l’argent des contribuables. Dans le même temps, la stratégie de dégradation de la fonction présidentielle s’est avérée payante. Tout se passe comme si la vulgarité et la médiocrité extrêmes (la liste des « karcher pour la racaille » jusqu’aux « cass’ toi pauv’ con », en passant par le Fouquet’s, le yacht, la Rolex, les Ray-Ban, la Carla, …est trop longue) ne choquaient que quelques intellectuels attardés et rapprochaient en définitive du peuple, fasciné par l’indécence des politiciens assimilés à des people. La corruption, en se généralisant, se banalise et le public devient blasé et inerte.
D’autre part, justement, l’absence de décisions (Sarkozy est élève de Margaret Thatcher : « J’ai appris une chose avec la politique : ne prenez aucune décision si ce n’est pas une nécessité absolue »), contrairement à ce qu’ont voulu nous faire croire les médias confondant sciemment agitation brownienne et action politique (qui, par définition, doit être réfléchie, cohérente et sur le long terme). Sauter sur n’importe quel fait divers pour lancer une nouvelle loi répressive (qui ne sera d’ailleurs pas décrétée ni même appliquée), à grands coups de mentons volontaires, fait illusion.
Quel électeur sarkozyste peut citer 3 mesures en faveur de la construction d’une politique industrielle nationale, par exemple ? Le discours de Toulon contenait, reconnaissons-le, des avancées intéressantes contre l’oligarchie financière, la spéculation et les paradis fiscaux. Rien, absolument rien de son contenu n’a vu le début d’une esquisse d’une quelconque mise en œuvre. Rideau de fumée.
Les quelques rares décisions politiques n’ont été prises que dans l’intérêt des super-riches (loi TEPA, fiscalité) et contre celui du peuple (contre réforme des retraites).

Deuxième point. Le régime présidentiel de la 5ème République a permis à Sarkozy de contrôler facilement l’ensemble des trois autres pouvoirs. Le législatif d’abord, en transformant l’Assemblée nationale en croupion : plus aucune initiative des lois, les pseudo-représentants du peuple étant aux ordres des membres du gouvernement UMP (il faut écouter l’ancien député Yvan Blot, pourtant pas suspect de gauchisme, raconter comment cela se passe au quotidien). Le judiciaire ensuite, avec la nomination des amis aux postes les plus élevés, pour étouffer les multiples affaires (De Karachi à Bettencourt en passant par Kadhafi). La presse enfin, qui lui a permis d’occuper en permanence le devant de la scène médiatico-politique, grâce aux copains Dassault, Bouygues, Lagardère, Arnault, Bolloré, Frère, de Rothschild, etc. L’exécutif, au lieu de se limiter à sa fonction qui est d’exécuter les lois, a tout contrôlé et nous avons été gouverné par des personnages non élus, qu’ils soient conseillers à l’influence néfaste (les Guaino, Buisson, Minc, et autres Mignon) ou ministres (les Guéant et autres bureaucrates).

Troisième point. La compétence n’est pas un critère d’évaluation ou de choix, tant la culture économique et politique de la masse des français est faible. Pourtant, jamais un gouvernement, sauf peut-être aux pires heures de la 3ème République, n’aura réuni autant d’incompétents. Comme ne pas pleurer (ou rire ?) de désespoir et de honte devant les âneries, les régressions et les méfaits de Nadine Morano, Rachida Dati, Roselyne Bachelot, Christian Estrosi, Eric Besson, Frédéric Lefebvre, Luc Chatel, Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse, François Baroin, Frédéric Mitterrand, David Douillet, …et j’en passe. Devant la transparence et la vacuité totales d’un François Fillon, chargé pourtant de conduire la politique de la France, dont on se demande ce qu’il a fait de concret pendant toutes ces années. Devant le rideau de fumée du Grenelle de l’environnement, grandiose imposture intellectuelle. Devant les talons-aiguilles de la Marie-Antoinette NKM qui réussit à faire croire qu’elle est intelligente.

Quatrième point. Face à l’incurie et l’incompétence en matière économique et sociale, face au pillage éhonté des classes laborieuses au profit des grands capitalistes, il fallait trouver une diversion. L’ennemi tout désigné est toujours l’étranger, rien de nouveau sous le soleil. Jamais nous n’aurons entendu autant de discours nauséabonds sur le bouc émissaire éternel, « l’étranger - surtout celui du Sud - qui vient manger le pain des français », qui profite de la générosité de la République et est responsable de l’insécurité. Combien de milliers de mots méprisants, insultants et haineux ont-ils été prononcés (discours de Dakar et de Grenoble, entre autres), combien d’amalgames indécents entre identité nationale, immigration et islam ? Le discours sécuritaire qui fait appel aux instincts les plus bas, ceux du mépris, du rejet de l’autre, de la haine, de la xénophobie et du racisme, a bien fonctionné. En période de crise intense, c’est le type de démagogie qui réussit le mieux.
Fort heureusement, le contexte géopolitique nous a fait échapper à la traditionnelle stratégie de « l’ennemi extérieur », appliquée avec succès notamment avant chacune des deux guerres mondiales, afin de faire diversion de la grogne sociale interne et de transformer la populace en chair à canon.

La campagne extrême-droitière de l’entre-deux-tours, dirigée par l’ancien patron de Minute, aurait duré 15 jours de plus, et pour peu qu’un autre Mohammed Merah se soit manifesté, qui sait si le résultat n’aurait pas été inversé ? Ce score de plus de 48 % doit nous faire réfléchir et sentir combien est fragile la forme de notre pseudo-démocratie. Il nous apprend qu’à force de ministères de la parole, de mensonges, de manipulations, de mauvaise foi, d’impostures intellectuelles, de techniques de communication, de mises en scène, de culte de la personnalité, …un clan au pouvoir, pour peu qu’il contrôle les médias, peut réussir à faire voter des millions de citoyens contre leur propre intérêt. Nous avons réussi de justesse à nous libérer d’un imposteur, mais rien n’est définitivement gagné. Le système de l’élection, depuis plus de 200 ans, n’a jamais permis aux pauvres, la grande majorité des citoyens, de gouverner démocratiquement leur pays.