Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?

Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?
Aux Editions de l'Aube

23 novembre 2012

Chacun pour soi !

Contrairement aux thèses néolibérales, le « doux commerce » et les vertus d’internet n’ont pas rendu le monde plat et homogène. Depuis la fin de l’âge d’or de l’après-guerre et des Trente Glorieuses, on assiste au contraire à un morcellement et à un éclatement historiques qui concernent l’ensemble des régions du globe.
Les périodes de guerre, qu’elles soient napoléoniennes, hitlériennes ou coloniales, ont toujours conduit à des annexions et la formation d’empires ou de coalitions, certes d’abord forcées, mais ensuite parfois acceptées (les Gaulois ont profité de leur conquête par les Romains). Puis, les périodes de paix, même lorsque celle-ci est relative, deviennent la source de mouvements centrifuges. Depuis la partition de la Corée (évènement qui structure encore profondément la géopolitique mondiale) et celle des Indes britanniques, les cartes et les positions géostratégiques s’étaient figées dans l’hiver de la guerre froide.
Mais il y a 20 ans, le tsunami de la chute du mur, qui déclenche l’explosion de l’URSS et la formation de 15 Etats indépendants souverains, donne le signal historique. Dans la foulée, la petite Yougoslavie éclate en une mosaïque de 7 Etats nains : Slovénie, Croatie, Serbie, Monténégro, Kosovo, République de Macédoine, Bosnie-Herzégovine (avec République Serbe de Bosnie et Fédération Croato-Musulmane). Même la microscopique Ossétie a réussi également l’exploit de se diviser en deux.

Et l’Europe de l’Ouest suit le mouvement. Aujourd’hui, l’Ecosse, la Catalogne, la Lombardie veulent leur indépendance. La Belgique n’arrête pas de flirter avec la séparation des wallons et des flamands. Le statut de l’Irlande du Nord n’est pas définitivement réglé et le Pays Basque reste un brûlant électron libre. Et voilà que les Anglais n’ont jamais été aussi près de quitter l’Union européenne.
L’Afrique n’échappe pas à cette tendance lourde : l’ancien Congo avait donné lieu à la RDC et à la République du Congo, le Soudan s’est scindé en deux pays, la Lybie est menacée d’éclatement ou au mieux de fédéralisme, le Mali est en voie de partition, les pays du Maghreb opposent en permanence leurs divergences pour ne pas dire leurs rivalités. Le projet d’Union pour la Méditerranée est tombé à l’eau, lamentablement.
Même les terres lointaines et froides s’y sont mises. La Sibérie réclame l’autodétermination, le Tibet veut être libre, et le Québec également.
La réunification de l’Allemagne n’est que l’exception - unique - qui confirme la règle. Et c’est d’ailleurs à partir d’elle que le processus bureaucratique européen a arrangé une union des marchands et des banquiers, contre la volonté des peuples. Union tellement factice qu’on n’a jamais été aussi près du jour où la zone euro va imploser.
Ce morcellement extraordinaire du monde est la conséquence directe de la vague destructrice du capitalisme financier international, qui prône la guerre économique de tous contre tous, la loi de la jungle et du plus fort, qui fait l’éloge de la compétition entre les pays, les entreprises, les organisations et les humains, avec comme seule valeur celle d’un individualisme forcené. Les logiques de coopération sont rejetées car jugées « anticoncurrentielles ». Le mot solidarité disparaît du vocabulaire (l’Europe projette de mettre fin à l’aide alimentaire) au profit de celui de compétitivité, le rêve des possédants étant qu’un salarié français soit payé comme un ouvrier bengali. Partout, les mouvements nationalistes, populistes ou indépendantistes, gagnent du terrain.

Lénine s’est trompé, le stade ultime du capitalisme n’est pas l’impérialisme. Après l’empire, la guerre économique totale à laquelle nous force l’oligarchie financière, nous mène à l’atomisation délétère, puis à la désagrégation généralisée.
Les fourmis existaient des millions d’années avant l’apparition de l’homme sur terre, elles lui survivront car la coopération est plus efficace que la compétition.
« Chacun pour soi ! ». La montée historique de l’intégrisme religieux, autre conséquence de l’explosion des inégalités et de la pauvreté, ne permet même pas de rajouter à ce tableau noir des égoïsmes : « …et Dieu pour tous ! », car Dieu lui-même a été divisé.
Qu’il est loin le temps où les prolétaires chantaient, pleins d’espoir : « Groupons-nous et demain l’internationale sera le genre humain ».
Unissons-nous, il n’est que temps. Pour que renaisse l’espérance.

8 novembre 2012

Ce n'est pas la croissance qui crée l'emploi, c'est l'emploi qui fait la croissance.

On peut régulièrement lire sous la plume des économistes orthodoxes (c’est-à-dire achetés par les banquiers) et celle des pseudo-journalistes économiques qui sévissent dans les médias, prêcheurs du mythe néolibéral, que « c’est la croissance qui crée des emplois ». Quelquefois même, certains d’entre eux se hasardent à donner des chiffres et des seuils (plancher de 1 % de croissance pour maintenir ou créer de l’emploi, par exemple). Fadaises. Ils raisonnent à l’envers, tant par incompétence que par idéologie.


La croissance n’est pas une cause, c’est un résultat, une conséquence de la somme des actions de l’ensemble des agents économiques. On la mesure a posteriori, quand les chiffres de la production annuelle des valeurs ajoutées sont connus et fiabilisés, souvent des trimestres, voire des semestres après régularisation des statistiques. Si la croissance ne se décrète évidemment pas, elle ne se pilote pas non plus, tant les causalités et facteurs amont sont nombreux et leurs interactions complexes. On ne peut que l’observer, la contempler, une fois que le temps est passé. Tout en ne sachant d’ailleurs pas ce qu’elle mesure. Les limites du sacro-saint PIB sont bien connues : le travail au noir, le travail gris, celui des bénévoles et des familles lui échappent. Chaque fois qu’un accident de voiture, une catastrophe ou une maladie se produit, le PIB augmente. La notion de répartition de la richesse, pourtant centrale, lui est étrangère. Et les pseudo-commentateurs oublient systématiquement de le rapporter à la démographie du pays. Le PIB est un indicateur pernicieux et vicieux, qui conduit ceux qui le suivent aveuglement dans des directions contraires à l’intérêt général.

Les taux de chômage et d’emploi, par contre, doivent être les indicateurs prioritaires de tout gouvernant digne de ce nom. Le chômage de masse est le cancer que le capitalisme financier triomphant nous a inoculé. Il est la seule maladie à générer quatre effets économiques négatifs, dont le cumul s’auto-entretient catastrophiquement. Un, en diminuant le volume des biens fabriqués et des services réalisés, il réduit, par construction, la création de richesses. Deux, il sape l’assiette des cotisations sociales et des impôts sur les revenus du travail, avec un effet dévastateur sur les services publics et la solidarité sociale. Trois, il impacte la consommation, non seulement celle des chômeurs eux-mêmes, bien sûr, mais également celle de l’ensemble des salariés, qui ont tous un proche ou une connaissance au chômage et craignent pour leur propre sort et leur avenir. Quatre, il augmente le besoin de solidarité (allocations chômage, RSA, minima sociaux,..) et contribue ainsi au creusement des déficits publics.

Tous les efforts doivent être concentrés sur ce mal létal. Ce n’est malheureusement pas ce qu’on peut lire en ce moment dans les rapports des bureaucrates, prompts à faire de généreux cadeaux fiscaux aux patrons, qui iront directement enrichir les actionnaires. Les armes sont pourtant bien connues depuis longtemps. D’abord une éducation nationale et une formation continue à rénover de fond en comble, le chômage frappant surtout les personnes non qualifiées. Ensuite, une véritable politique de partage du temps de travail. Au lieu de répéter bêtement les contre-vérités de la droite sur les 35 heures, les économistes feraient mieux de se demander comment passer concrètement à une semaine de 4 jours et promouvoir le temps partiel choisi. Troisièmement, on attend toujours une véritable politique industrielle, appuyée par le lancement de grands travaux d’infrastructures, pour booster les secteurs où la demande solvable existe et capable d’anticiper les besoins de demain, en priorisant les domaines à forte valeur ajoutée (santé, énergie, technologies vertes), la sacro-sainte innovation (dont tout le monde parle depuis 20 ans, mais savoir ce que c’est ni comment faire), mais également les métiers non délocalisables (services de proximité). Enfin, il faut mettre en place sans tarder l’indispensable protection aux frontières de notre tissu industriel contre la concurrence déloyale des pays sans protection sociale ni règlementation du travail ou environnementale.

A qui pourrait-on demander un rapport sur la lutte contre le chômage ?

2 novembre 2012

Qu'est-ce qu'une bonne gestion des finances publiques ?

Le débat actuel sur les déficits, les dépenses publiques et les impôts est un cocktail affligeant de médiocrité et d’idéologie de mauvaise foi. Les choses doivent être reprises dans l’ordre. Il convient d’abord de commencer par les dépenses publiques. Quel niveau de services publics et d’assurances sociales voulons-nous, nous le peuple ? Secteur par secteur, priorisons nos besoins et le degré de couverture souhaitable, en fonction de la situation démographique (quelle est l’importance de la question de la dépendance ?), sanitaire (où nous conduit l’explosion des maladies environnementales ?), sociale (la lutte contre le chômage de masse est-elle bien la première priorité ?), économique (comment stopper le creusement abyssal des inégalités ?), de notre pays. Quelle qualité d’éducation nationale voulons-nous ? Au-delà de 35 élèves par classe quelle est l’efficacité de l’enseignement ? Peut-on raisonnablement payer un instituteur juste au dessus du SMIC ? De combien d’infirmières a-t-on besoin dans un hôpital ? Quel doit être le meilleur taux de remboursement des médicaments et des actes médicaux ? Un RSA à 494,17 euros est-il suffisant pour vivre dignement ? Forcer les vieux à basculer dans le chômage non indemnisé en attendant une retraite réduite parce que les entreprises ne les embauchent pas, est-il un système intelligent ? Y a-t-il assez de policiers dans certaines banlieues ? A-t-on vraiment besoin de plus de 40 milliards d’euros de dépenses militaires annuelles ? Etc. Bref, un vrai débat de société au cours duquel c’est le peuple qui s’exprime le plus directement possible (ce qu’aurait du être, mais n’a malheureusement pas été, la dernière campagne présidentielle), doit conduire à la priorisation des besoins et des niveaux différenciés de qualité des services publics, avec au final un montant global de dépenses publiques consenti.

Dans un deuxième temps seulement, on regarde les recettes. Il s’agit ici de l’impôt. Toutes les dépenses de fonctionnement de l’Etat doivent être financées exclusivement par l’impôt. Son montant global n’est donc plus discutable, le budget étant ainsi équilibré par construction. Reste maintenant à décider qui va payer. C’est ici le principe et l’outil majeur de la redistribution. L’impôt est le socle incontournable de la solidarité nationale. Sans impôt, plus de services publics, plus d’assistance envers les moins chanceux et les plus démunis. Sans impôt, plus d’Etat, juste la loi de la jungle. Un conseil en passant aux ultralibéraux (pigeons, patrons de transnationales, apparatchiks du MEDEF ou banquiers multimillionnaires) qui militent pour ce nirvana de la loi du plus fort : munissez vous alors de milices privées car vous aurez alors à défendre votre peau face à la révolution.
Par définition, les riches doivent payer plus que les pauvres, non seulement bien sûr en termes absolus mais en termes relatifs : l’impôt doit être fortement progressif (l’impôt sur le revenu est aujourd’hui régressif pour les plus riches). Le fameux 75 % de taux marginal, qui a fait pousser tant de cris d’orfraies à la classe possédante, se résume en fait à un taux moyen de 18 % pour ces ultra-riches. Reste enfin à trouver les meilleures assiettes de collecte (revenus du travail, du capital, patrimoines, bénéfices des entreprises, consommation, héritages, pollutions écologiques,…) et les meilleurs taux incitatifs. Le grand travail de simplification et d’harmonisation qu’appelaient de leurs vœux des économistes comme Thomas Piketty n’a pas eu lieu et n’est pas programmé. L’impôt est totalement illisible, il comporte des centaines de niches fiscales et de dérogations pour les privilégiés (manque à gagner supérieur à 2 fois le budget de l’éducation nationale, avec 80 % des revenus du capital qui échappent à l’impôt), à un point tel qu’il est devenu impossible d’en appréhender l’efficacité et la justesse. Résultat : dès qu’on envisage une nouvelle taxe, on se heurte à des vociférations médiatisées d’une corporation qui nous fait le coup du chantage à l’emploi (propriétaires de start-up, grands patrons, buveurs de bière, fumeurs, automobilistes, restaurateurs, médecins libéraux,…). Et on se demande pourquoi la France, 5ème pays le plus riche du monde et qui abrite le plus de millionnaires et de milliardaires, n’arrive pas à redistribuer sa richesse.
Enfin, l’évasion fiscale doit être sévèrement réprimée. Comme le font les Etats-Unis, les revenus doivent être taxés quel que soit le lieu de résidence du contribuable, sur le territoire de la République ou à l’étranger. Ceux qui souhaiteraient alors quitter la douce France qui a payé leurs grandes écoles et leurs privilèges, devraient abandonner la nationalité française et payer une taxe d’expatriation.

Dernier volet, les investissements publics. L’Etat est en charge de l’avenir de la nation. Il doit renouveler et construire les écoles, les universités, les hôpitaux, les routes, les infrastructures. Pour ce faire, il ne peut - comme tous les autres agents - qu’emprunter. Mais surtout pas aux banquiers privés ! Ces prédateurs cotés en bourse, qui exigent des taux d’intérêts astronomiques, ont réussi à s’octroyer l’exorbitant privilège de la création monétaire en 1973 (Loi Rothschild de Pompidou et Giscard), consolidé depuis par les iniques traités européens. Ils ont ainsi fabriqué de toutes pièces les déficits des Etats et les ont creusés encore lorsqu’ils les ont obligés à les sauver quand leurs opérations frauduleuses sur les marchés des subprimes et autres produits toxiques les ont conduit au chantage à la faillite. Il ne leur restait plus qu’à spéculer sur les déficits publics eux-mêmes et le cercle vicieux était bouclé. Pour nous sauver, il nous faut impérativement revenir à l’époque où l’Etat demandait à la banque centrale de la République des avances sans intérêt. Quand le peuple souverain se prête à lui-même, il n’y a plus de problème de confiance donc de risque.

On le voit, la question du budget de l’Etat, au lieu d’être exposée par les médias via le petit bout de la lorgnette, pose en fait la question centrale du retour à la démocratie.