Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?

Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?
Aux Editions de l'Aube

16 novembre 2009

Réinventons l'Investissement Socialement Responsable

L’ISR est un concept flou et incompréhensible pour l’épargnant de base. Madame Michu - dont la culture financière est malheureusement trop faible - est d’abord victime de l’opacité du monde des OPCVM. Un demi-siècle après leur invention, plus de 90 % de nos concitoyens n’en possèdent pas (en direct) et le taux de détention des OPCVM actions plafonne à 5 %. Au-delà de la saine aversion des français aux casinos boursiers (qui a limité les dégâts de la crise sur leur patrimoine), les raisons sont à rechercher dans la relative inefficacité du marketing mix : (i) des performances qui suivent grosso modo les fluctuations des marchés (combien de gérants battent leur indice de référence ?) et qui sont obérées par les commissions (forcément plus élevées quand il y a deux intermédiaires à rémunérer : le réseau d’agence et le gestionnaire) et la fiscalité (ii) les « tambouilles » des gérants (entrées et sorties des valeurs qui composent les paniers) perçues comme peu transparentes par les porteurs (iii) le produit du mois, poussé par le réseau, qui serait toujours meilleur que le produit du mois précédent (iv) le produit maison, forcément supérieur à ceux des concurrents. Les soi-disant fonds à promesse et les fonds dynamiques (truffés de subprime toxiques) ont achevé de dégoûter les derniers gogos.


Au sein de ce petit monde, l’ISR n’occupe qu’environ 1 % du marché. Une niche dans la niche. Et pourtant, l’ISR recouvre à lui seul une collection hétéroclite de processus de gestion. On y trouve la gestion par exclusion (sans doute la plus compréhensible), venue du puritanisme américain : à la demande de congrégations religieuses ou autres associations d’épargnants qui ne veulent pas investir dans des secteurs particuliers (alcool, tabac, armement, pornographie..), des fonds d’exclusion ont été créés (surtout aux US). L’ISR recouvre aussi la gestion dite best-in-class, qui sélectionne les soi-disant meilleurs élèves de la classe d’actions considérée, du point de vue de la responsabilité - environnementale et sociale - de l’entreprise (RSE). Les bons et les mauvais points sont donnés par les analystes ISR des gestionnaires et les agences de notation extra-financières, selon des méthodologies peu matures, changeantes, empreintes de biais cognitifs et de partis pris idéologiques (le nucléaire, c’est mauvais), sur base d’informations publiques ou de réponses fatiguées à des questionnaires mal ciblés. Juger objectivement du degré de responsabilité d’une multinationale de plus de 100 000 collaborateurs dans 100 pays est très difficile donc très coûteux, tant les axes d’analyse sont nombreux, les données internes difficiles à obtenir et interpréter (les jeunes analystes des agences de notation n’ayant généralement jamais mis les pieds dans une entreprise). Ainsi Mme Michu, si elle est influencée par les campagnes de dénigrement de certaines ONG environnementalistes, ne comprendra pas pourquoi on trouve TOTAL - fleuron du CAC 40 et symbole de la réussite française - au sein de fonds dits éthiques (l’éthique n’ayant d’ailleurs absolument rien à voir avec le sujet). Même si son plus cher désir serait de voir son fils embauché par TOTAL et si elle n’a rien trouvé de mieux à mettre que de l’essence dans le réservoir de son automobile. On n’est pas à une contradiction près.

Cohabite aussi dans l’ISR la forme dite de l’engagement actionnarial, où les gérants de fonds accomplissent l’exploit d’exercer leurs droits de vote aux assemblées générales, avec le succès qu’on imagine.

Certains classent également dans l’ISR, les fonds dits thématiques comme les valeurs « vertes ». Comme si le fait d’être leader mondial du traitement des déchets signifiait automatiquement que l’on traite ses sous-traitants conformément aux Droits de l’homme.

Sont aussi déclarés cousins de l’ISR, les microscopiques fonds solidaires, où 5 à 10 % (waouh !) des montants sont investis dans des organisations labellisées « solidaires » et les fonds de partage où l’épargnant rétrocède une partie de ses revenus à des associations caritatives, sorte de philanthropie.

Enfin, d’aucuns prétendent que la finance islamique serait un compartiment de l’ISR, tant le mot responsabilité est un mot-valise qui voyage jusque dans les contrées des dogmes religieux. A contrario, financer le logement social ne serait pas responsable, puisque le microcosme de l’ISR exclut des produits comme le Livret A.

Fonds éthiques, fonds développement durable, fonds responsables, fonds verts, fonds solidaires, fonds religieux….on mélange tout et Mme Michu n’y comprend plus rien (ne lui parlez pas en plus d’ISR monétaire). Bref, une minitour de Babel, faite de sectes et de multiples forums créés pour promotionner leurs organisateurs. Cette confusion doit justement inciter les banques à déployer des trésors de pédagogie pour expliquer à leurs clients où va leur argent et son utilité sociale.

Pendant ce temps-là, les analystes financiers, imperturbables, font tourner leurs tableurs Excel avec leurs sempiternels Discounted Cash Flows. Mais ceux qui ont participé à l’avant-dernière vague de destruction de valeur mondiale en valorisant les modèles fumeux de la bulle internet n’ont pas de leçons à donner.

La cible est pourtant connue : c’est l’enrichissement du mainstream par incorporation dans les analyses financières des critères de responsabilité, en tant que sources de création ou de destruction de valeur (par non maîtrise des risques opérationnels), comme c’est déjà le cas pour certains paramètres extra-financiers (pertinence de la stratégie commerciale par exemple). L’entreprise est une boîte noire qui extériorise des résultats, selon des règles comptables mouvantes, non universelles et interprétables. La mesure de la bonne adéquation entre les moyens et les résultats passe par l’évaluation de sa capacité à fidéliser chacune de ses parties prenantes et à leur redistribuer équitablement la survaleur créée. Et ce, sur le long terme.

Je propose en effet de compléter le concept de responsabilité par celui de durée-fidélité. Les entreprises ont besoin d’actionnaires stables, capables de les aider dans leur croissance. Leur fidélité doit être reconnue et valorisée. L’économie française et européenne a besoin d’épargne longue, plus pour des raisons structurelles (la démographie) que conjoncturelles (la crise). La problématique fondamentale des retraites exige des solutions de protection des épargnants long terme, qui soient incitatives pour les jeunes épargnants et qui mutualisent efficacement les risques avec les vieux. Ces incitations doivent provenir d’une adaptation du cadre institutionnel, comptable, règlementaire et fiscal, au plan européen. Travaillons à ce nouveau référentiel harmonisé, créons un statut pour un produit d’épargne long terme paneuropéen (voire un label ou une certification pour rassurer Mme Michu ?).

Donner une prime au long terme, réduire la volatilité, construire un destin économique commun, créer de la confiance et du lien durable entre les acteurs, c’est la condition pour qu’aucun investissement ne soit jamais irresponsable et qu’on assiste un jour à la victoire des pères de famille sur les spéculateurs.