Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?

Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?
Aux Editions de l'Aube

23 décembre 2010

Je me souviens de 2010

Je me souviens que je me souvenais que 2009 n'avait pas été très différent de 2008.
Je me souviens d’un Président crispé dont la pensée se décalait par rapport au sens des mots de ses vœux qu’il récitait sur son prompteur et que j’ai oubliés.
Je me souviens que c’est à ce moment-là qu’il a fallu se mettre tout nu pour s’envoler vers l’Amérique.
Je me souviens des larmes de crocodile qui gouttaient sur la tombe de Philippe Seguin.
Je me souviens qu’un an après les émeutes de la désespérance en Outre-mer, rien n’avait vraiment changé.
Je me souviens que c’était l’hiver, qu’il faisait froid et qu’il neigeait.
Je me souviens de mon écœurement à propos du débat sur l’immigration ….nationale.
Je me souviens que le montant du grand emprunt égalait pile celui des actifs toxiques dévoilés par la Société Générale.
Je me souviens que Lionel Jospin voulait démontrer qu’il était un personnage historique.
Je ne me souviens plus du niveau du CAC 40 le mercredi 13 janvier à 14 H 42. Ni celui de la veille. Ni celui du lendemain.
Je me souviens qu'une catastrophique catastrophe dite naturelle s'est abattue sur le pays le plus pauvre du monde, vieille coutume de la double peine.
Dès que j’ai appris par la radio que J.D. Salinger était mort, je me souviens m’être précipité pour relire d’un trait ses nouvelles et qu’une grande tristesse a envahi mon cœur, que cet homme que je ne connaissais pas et qui ne me connaissait pas, avait attrapé.
Je me souviens avoir lu que les trente-huit premières banques américaines avaient versé 145 milliards de dollars de bonus. J’avais divisé ce nombre par le budget annuel de la lutte contre la faim dans le monde, ce qui faisait un paquet d’années.
Je me souviens que le pays qui fut le berceau de la civilisation occidentale avait failli faillir, attaqué par les mêmes traders qui l’avaient aidé à maquiller ses comptes.
…les mêmes traders, qui après avoir foutu la planète en l’air, avaient été sauvés par les mêmes Etats……Mafia blues
Je me souviens que la plus belle entreprise du monde, autrefois reine de la qualité et de l’innovation, avait perdu sa course aux coûts et aux volumes contre la mondialisation, pour qui même les géants japonais ont des pieds d’argile.
Je me souviens que pendant la même semaine de février, un séisme a frappé le Chili et un raz-de-marée le Poitou-Charentes. Un journaliste avait calculé le rapport entre les nombres de victimes.
Je me souviens qu’aux jeux olympiques d’hiver de Vancouver beaucoup d’athlètes français s’étaient cassé la figure.
On ne se souvenait plus de ce chanteur à la belle voix, à la belle moustache et à la belle gueule, grand échalas prénommé Jean dont le vrai nom était Tenenbaum. Je me souviens que mes parents l’aimaient beaucoup.
Je me souviens des élections régionales où les français avaient massivement voté à gauche et à la suite desquelles le Président avait mis la barre à droite toute.
Je me souviens avoir lu que les 25 premiers patrons de fonds spéculatifs américains avaient gagné chacun 1 milliard de dollars en 2009. Je me demandais ce qu’ils pouvaient faire de leur argent.
Je me souviens que le jour du passage à l’heure d’été, un publicité à la radio nous incitait à changer aussi de montre. Parfait extrait concentré de l’esprit du capitalisme.
Qui se souvient que le mardi 12 avril un tremblement de terre avait tué 2000 personnes au Tibet ?
Je me souviens du nuage de poussière craché par un petit volcan d’Islande, au nom imprononçable, qui a bloqué tout le trafic aérien d’Europe. Virus H1N1 ou microparticules, le monstre de la mondialisation est sensible à l’infiniment petit.
Je me souviens d’un printemps gris et froid.
Je me souviens que les politiciens de droite se sont précipités pour voter une loi concernant la tenue vestimentaire de 337 femmes en France.
Je me souviens qu’un ministre de l’intérieur et de tous les français s’était occupé personnellement du cas d’un homme, de confession musulmane, qui entretenait des relations avec plusieurs femmes, pour le déchoir de sa nationalité.
Je me souviens de mon écœurement lors de l’annonce de l’étendue des turpitudes de Goldman Sachs.
Je me souviens qu’un des pollueurs les plus riches du monde avait créé la plus grande marée noire des Etats-Unis et que ce sont les pauvres de Louisiane, encore eux, qui en profiteraient.
Qui se souvient que des mêmes marées noires polluent le delta du Niger depuis cinquante ans ?
Je me souviens du verdict de la justice indienne, 26 ans après la pire catastrophe écologique de l’histoire industrielle à Bhopal : 2100 dollars d’amende pour les anciens dirigeants d’Union Carbide. Pour 25 000 morts et 100 000 contaminés. Calculez le prix d’une vie humaine.
Je me souviens que les politiciens européens, bien au chaud dans leurs palais, discouraient, les sourcils froncés, sur les mots austérité et rigueur. Pour les autres. Surtout pour les plus pauvres.
Je me souviens que Denis Hopper était parti vers sa dernière chevauchée facile. So long friend, take care.
Je me souviens de l’attaque d'un cargo humanitaire à destination de la Palestine par un commando israélien dans les eaux internationales. Pour cause de « légitime défense ».
Je me souviens que le gouvernement avait décidé que les vieux resteraient 2 ans de plus au chômage non indemnisé avant de pouvoir prendre une retraite tronquée.
Je me souviens de cette vague de suicides chez un fabricant chinois de nos gadgets électroniques et de la réponse de la Direction : faire signer des décharges aux employés et placer des filets de sécurité.
Je me souviens que l’Etat britannique a consenti à s’excuser pour le massacre irlandais du Bloody Sunday. 38 ans et une enquête de 200 millions de livres pour reconnaître ce que tout le monde savait. Mieux vaut tard que jamais.
Je me souviens qu’un condamné à mort dans l’Utah a été fusillé. Un autre dans le Texas a été électrocuté 32 ans après son crime. Un autre a été tué avec un anesthésiant pour chiens. L’Amérique est un pays moderne.
Je me souviens du spectacle donné par le football français lors de la coupe du monde : fric, individualisme, incompétence, insultes. Reflet des effets de la mondialisation sur la société.
Je me souviens que le salaire du PDG de Renault-Nissan avait atteint 8 millions d’euros, soit 5 siècles de SMIC. Record à battre pour l’année prochaine.
Je me souviens du procès Kerviel et de sa vraie question : quelle est la part d’incompétence par rapport à la part de connivence du management de la Société Générale ?
Et je me souviens de la réponse donnée lors du jugement : « La banque n’est responsable de rien ». CQFD.
Je me souviens d’un ministre du budget dont la femme était chargée de gérer l’optimisation fiscale de milliardaires.
J’ai oublié le souvenir d’une Coupe du monde de football totalement inintéressante.
Je me souviens du gâteau écœurant de l’été, qui liait des ministres à la crème des milliardaires.
Je me souviens des beaux visages de Laurent Terzieff et de Bernard Giraudeau, désormais immortels.
Je me souviens que le sang noir a coulé longtemps dans le golfe du Mexique.
Je me souviens des belles performances de l’équipe de France aux championnats d’Europe d’athlétisme à Barcelone et aux championnats du monde de natation.
Qui se souviendra que 20 millions de pakistanais ont été frappés par des inondations catastrophiques ?
Je me souviens que le gouvernement de la France cherchait par tous les moyens à assimiler délinquance et étrangers.
Je me souviens de la chasse aux Roms. Et de la honte d’être français.
Je me souviens d’Alain Corneau. Quand je pense à lui, je me souviens aussi de Patrick Dewaere.
Je me souviens que Laurent Fignon s’est échappé.
Je me souviens que nous étions très nombreux à manifester le 24 juin, le 7 et le 23 septembre, le 2, le 12, le 16, le 19 octobre et le 28 octobre, et le 6 novembre. Avec la joie de partager notre colère.
Je me souviens que Claude Chabrol est mort et que c’était un bon vivant.
Je me souviens qu’Arthur Pen, Blake Edwards et Toni Curtis avaient fait partie de ma jeunesse.
Je me souviens que le beau Danube bleu était devenu tout rouge.
Je me souviens que le Prix Nobel de la Paix croupissait dans un cachot chinois.
Je ne me souviens pas des noms des 33 mineurs chiliens prisonniers de la terre, mais de la médiatisation de leur sauvetage.
Je me souviens que la pénurie d’essence d’octobre nous avait rappelé notre addiction à cette drogue.
Je me souviens que la stupidité et l’égoïsme avaient gagné les élections de mi-mandat américaines.
Je me souviens de la double peine pour Haïti : après le tremblement, la stupeur du cholera.
Je me souviens de la libération de Aung San Suu Kyi, lumière d’espoir dans ce triste ciel d’automne.
Je me souviens que les journalistes du Figaro ne s’étaient pas fait voler leurs ordinateurs.
Je me souviens d’un remaniement ministériel qui s’appelait : «On prend les mêmes et on recommence».
Qui se souviendra qu’une bousculade géante sur un pont du Cambodge avait fait 350 morts, au cours de la fête de l’eau ?
Je me souviens qu’il aura fallu plus de 15 ans et des milliers de morts pour qu’on empêche le Mediator de tuer.
Je me souviens que les irlandais ont été essorés pour renflouer les banques qui les avaient essorés.
Je me souviens que le rêve Obama s’ébréchait.
Je me souviens que Mario Monicelli s’est défenestré à 95 ans, atteint d’un cancer en phase terminale. Il faisait partie de Mes chers amis.
Je me souviens que le froid et la neige de l’hiver étaient arrivés trop tôt.
Je me souviens que Pompéi avait résisté à 2000 ans d’histoire mais pas à 10 ans de Berlusconi.
Je me souviens que Coluche était devenu le restaurateur préféré des français.
Je me souviens de ceux qui criaient à « l’irresponsabilité » et à la «dictature de la transparence» (sic) à propos de Wikileaks, avant de rajouter dans la même phrase : « de toutes façons, on n’y apprend rien qu’on ne sache déjà ».
Je me souviens que le pays des éléphants avait décidément du mal à entrer dans la démocratie. Comme celui des pharaons. La perle des Antilles également. La Biélorussie aussi.
Je me souviens que 71 % des français ne faisaient pas confiance au Président de leur République.
Je me souviens que le King Eric Le Rouge avait fait tremblé les filets des gardiens du temple de la haute finance.
Je me souviens que les 11 cm de neige du 8 décembre en Ile-de-France étaient néolibéraux : des tonnes d'essence gaspillées dans les embouteillages monstres, des tôles froissées, des dépenses de santé pour réparer les poignets cassés suite aux chutes des piétons... ..c'est la croissance du PIB 2010 qui va se régaler !
Je me souviens que les négociateurs du climat à Cancun avaient décidé qu’ils décideraient plus tard.
Je me souviens que des policiers en tenue avaient manifesté contre une décision de justice, soutenus par le Ministre de l’intérieur.
Je me souviens que le mot responsabilité était souvent employé. « Wikileaks est irresponsable », criait le pouvoir diplomatique. « Cantona est irresponsable » s'offusquait le pouvoir économique. « Ce sont les pentes des rues et la météo qui sont responsables de la pagaille sur les routes », affirmaient les pouvoirs publics. « La justice est irresponsable », s'égosillaient les policiers en tenue. Ce sont toujours les autres qui sont responsables de ce qui ne nous plaît pas.
Je me souviens que les banques n’avaient jamais autant prospéré. Au tour des banques alimentaires maintenant.
Je me souviens que la fortune de l’homme le plus riche de France, Bernard Arnault, s’était accrue de 11,5 milliards d’euros.
Je me souviens que, face à la pagaille sur les routes enneigées, les pouvoirs publics avaient parfaitement réagi : le Ministre de l'intérieur avait décidé "de ne pas verbaliser les automobilistes qui avaient abandonné leurs véhicules sur la chaussée" et le Ministre des transports avait adressé "un message de compassion aux victimes de intempéries".
Je me souviens que les patrons du CAC 40 avaient gagné en moyenne 190 fois le SMIC.
Je me souviens que l’année 2010 avait été décrétée « Année européenne de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale ».
Je me souviens qu’il y a eu 46 exécutions capitales aux Etats-Unis.
Je me souviens que je ne comprenais toujours pas pourquoi les italiens maintenaient Berlusconi au pouvoir.
Je me souviens que les prêtres pédophiles étaient couverts par l’Eglise.
Je me souviens que les contribuables européens avait apporté 4 589 milliards d’euros aux banques depuis le début de la crise.
Je me souviens d’un ministre de l’intérieur condamné deux fois par la justice française.
Je me souviens que les Etats européens se mettaient à genoux devant les spéculateurs.
J’arrive maintenant à me souvenir des noms des deux journalistes de France 3, retenus prisonniers en Afghanistan, depuis plus d’un an : Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier.
Je me souviens du sourire de cette femme, à la station Javel.
Je me souviens que 2010 aurait pu être meilleure. Ou pire.

16 décembre 2010

2010, annus horribilis du développement durable

2010 a démarré après le goût amer du fiasco de Copenhague et se termine sur le non évènement de l’insipide Cancun. Dans l’intervalle, le climategate, les attaques des climato-cyniques, les catastrophes, mais surtout les multiples ratages de gouvernance et les incuries de nos dirigeants, qui ont aggravé les effets de la grande dépression économique, nous font terminer l’année, non seulement avec une « green fatigue », mais surtout, avec le constat que la fin de cette première décennie du 21ème siècle marque une crise de civilisation unique en son genre.

2010, année des grandes catastrophes. 2010 a connu le plus grand nombre de catastrophes depuis 130 ans, dont 95 % des victimes vivaient dans les pays pauvres. Haïti, avec ses plus de 220 000 morts (dont 2000 dus au cholera), ne nous fait pas oublier les inondations au Pakistan (20 millions d’êtres humains sinistrés, 10 milliards de dollars), la canicule et les incendies de forêts en Russie (11 000 morts, 700 000 pauvres de plus par inflation des prix des céréales, pertes de 300 milliards de dollars), les séismes en Chine (3000 morts, 100 000 sinistrés, 4 milliards d’euros) et au Chili (800 morts, 500 000 logements détruits), les boues toxiques en Hongrie (1000 hectares polluées), les inondations en Chine (2000 morts, 40 millions de personnes touchées), en Thaïlande (4 millions de sinistrés), au Brésil (500 morts, 10 milliards d’euros) et en France avec Xynthia (50 morts, 1,2 milliards d’euros), la grippe H1N1 (18 000 morts).

2010, l’année de tous les records. Près de 10 millions de personnes sont mortes de faim et du fait d’eaux contaminées,13 millions ont été victimes de maladies contagieuses, 11 millions d’enfants de moins de 5 ans nous ont quitté, 600 000 mères sont décédées durant un accouchement, 2 millions de personnes sont mortes du VIH / Sida, et plus de 7 millions sont décédées d’un cancer.
2010 est l’année la plus chaude jamais mesurée. La concentration de gaz à effet de serre n’a jamais été aussi forte : 387 ppm de CO2, 1800 ppb de méthane, 322 ppb d’oxyde nitreux, idem pour les gaz chlorofluorés. La Chine est ainsi devenue le plus gros émetteur de GES.
11 millions d’hectares de forêts ont été détruits et 14 millions d’hectares désertifiés. 5,6 millions d’hectares de terres arables ont été perdus en raison de l’érosion des sols. 9 millions de tonnes de produits chimiques toxiques ont été déchargés par les industries dans la nature.

Nagoya, cache-misère de la biodiversité. On a fait comme si c’était un succès…et oublié qu’il n’y a pas de moyens, pas de signature des Etats-Unis, pas de mesures juridiquement contraignantes, pas de sanctions, pas de financements….Et, pendant ce temps-là, presque plus de thons rouges, toujours pas de taxe sur les sacs plastiques en France, toujours autant d’algues vertes en Bretagne, renouvellement de l’autorisation de l’insecticide Cruiser, cacophonie sur les OGM... Disons au revoir aux 130 000 espèces qui ont disparu cette année.

En France, la croisière continue de s’amuser. Un Grenelle de l’environnement incantatoire, qui accouche au mieux de souris, au pire de contradictions : abandon de la taxe carbone, cacophonie sur le photovoltaïque, frein aux éoliennes, abandon de l’appel d’offres pour les centrales solaires régionales, gains économiques annulés après 2020, démantèlement du grand ministère de l’écologie, psychodrame du convoi de déchets nucléaires de La Hague, politiciens verts qui continuent de s’entre-déchirer.…Tout ça pour ça ! 74 % des français ont raison de penser que c’est un échec. « L’environnement, ça commence à bien faire », nous a d’ailleurs rappelé Nicolas Sarkozy, ce qu’ont confirmé les queues des automobilistes aux pompes à essence pendant les grèves. Normal, donc, que, sur les 100 entreprises leaders en technologies propres, seules 2 soient françaises (contre 33 californiennes), autant qu’en Suisse. Pendant ce temps-là, la Chine est devenue N°1 en technologies vertes (35 milliards de dollars) et le pays le plus attractif pour les investissements étrangers dans les énergies renouvelables.

USA, le grand recul. La plus grande marée noire de l’histoire américaine, dans le golfe du Mexique, n’aura pas empêché la victoire des Républicains aux élections de mi-mandat de constituer le marqueur d’une grande régression environnementale et sociale : après le détricotage de la couverture maladie d’Obama et la fragilité du moratoire sur les forages en eaux profondes, il n’y aura pas de grande loi sur l’environnement ni de programme national de réduction des émissions de GES. Et vive l’envolée des ventes de 4X4, en fin d’année, suite à la baisse conjoncturelle du prix de l’essence. C’est le grand retour du « It’s the economy, stupid ! ».

2010, début de la grande régression sociale. Dans tous les pays occidentaux, 2010 sera l’année d’inflexion de la courbe de la baisse généralisée du pouvoir d’achat des classes moyennes. Les tarifs du gaz ont augmenté de 15 % en France. L’électricité est sur une tendance de + 6 % sur les 6 derniers mois, le plus fort taux d’augmentation depuis 30 ans ! Fin 2010, le prix des carburants est au plus haut depuis 2 ans. Le prix du m2 à Paris a augmenté de 20 % pour atteindre le record de 7000 euros. Les frais d’inscription à l’université au Royaume-Uni ont triplé. Les catastrophiques politiques de rigueur vont jeter des millions de travailleurs dans la pauvreté et la précarité. Le taux de chômage dans la zone euro a atteint 10,1 % : 16 millions de chômeurs officiels, sans compter ceux qu’on ne sait pas ou ne veut pas comptabiliser. 4 actifs sur 5 dans le monde n’ont pas de protection sociale. Les inégalités, les écarts de richesse et la fracture sociale n’ont jamais été aussi criants. La crise commence véritablement aujourd’hui et ces records seront battus.

Souhaitons quand même la bienvenue aux 132 millions d’être humains qui nous ont rejoint en 2010. Bon courage et bonne chance pour les années suivantes ! S’il n’arrivent pas à changer le monde, ils devront s’y adapter : s’adapter au changement climatique, s’adapter à la dégradation historique de leurs conditions de vie, subir la cupidité et l’incompétence de leurs classes dirigeantes. Vivre malgré tout et aussi lutter.

7 novembre 2010

Banque et développement durable, un magnifique oxymore

De tous les secteurs industriels, celui de la finance est le plus éloigné du concept de développement durable. Il se situe même exactement à son antipode. Car la finance n’est pas un secteur comme les autres. On dit que c’est le système sanguin de l’économie mondiale. Sa responsabilité est gigantesque comme le prouve, par l’absurde, si l’on peut dire, cette crise mondiale catastrophique que nous vivons. Elle a été déclenchée par la quasi-totalité des banques d’investissement et des gestionnaires de fonds, qui ont disséminés, en pleine conscience , des produits toxiques dans toute l’économie. Et fait sauter la planète. Mise à part son ampleur historique, le phénomène est naturellement constitutif du fonctionnement habituel du capitalisme financier dérégulé, qui se nourrit des bulles avant de les faire éclater à la figure des perdants. Les bulles se succèdent régulièrement, avec les mêmes recettes et les mêmes acteurs.

Car le métier des banques n’est pas de gérer le risque, comme elle aiment à le prétendre souvent, mais de créer des risques, afin d’alimenter les grands casinos des paris boursiers. Elles gagnent des sommes d’argent astronomiques sur les paris, grâce à la meilleure qualité des informations qu’elles détiennent, que leurs poids sur les marchés leur permettent d’obtenir, tant légalement qu’illégalement (on ne compte plus les délits d’initiés et les conflits d’intérêts).
L’image du système sanguin de l’économie n’est pas bonne : le sang apporte les globules rouges indispensables à la consommation d’énergie et à la vie. Alors que les banquiers de marchés se comportent comme des parasites qui sucent le sang de l’économie et l’anémient.
Quel est le secteur économique qui a la plus grande part de la capitalisation de toutes les bourses du monde ? Réponse : les banques ! Quel est le secteur à qui les banques prêtent le plus ? Les banques ! Quel est le secteur où les dirigeants et les cadres supérieurs sont les mieux payés au monde ? Les banques . Quel est l’industrie qui distribue le plus de stock-options ? Les banques, toujours les banques. Les banques forment un monde fermé, qui tourne sur lui-même et vit pour lui-même. Leur matière première, totalement virtuelle, dématérialisée, les a coupées du monde réel : il ne s’agit même plus d’argent, mais de digits dépourvus de réalité, dans les disques durs de leurs ordinateurs.
Les grandes banques d’affaires sont devenues les maîtresses absolues du monde.
Le trading pour compte propre, la confection de produits complexes basés sur des modèles mathématiques opaques (auxquels d’ailleurs la plupart des banquiers eux-mêmes ne comprennent rien), le jeu des effets de leviers, les ventes à découvert, les manipulations comptables, les hedges funds, les multiples pyramides de Ponzi, les opérations de gré à gré (sans la sécurité des chambres de compensation), les paris sur les fluctuations de prix et notamment les spéculations des traders sur les marchés du pétrole ou des matières premières agricoles , ….sont des armes lourdes contre l’économie, à nocivité létale.

De plus, les cloisons entre les opérations financières de haut vol et la fraude sont loin d’être étanches . Les principaux couloirs de jonction portent le doux nom de paradis fiscaux . Ces animaux sauvages (70 territoires dans le monde) ont trois fonctions. Un : cacher puis recycler l’argent du crime organisé. Deux : aider les banques à échapper aux contraintes règlementaires, aux règles prudentielles et au fisc. Trois : leur permettre d’organiser l’évasion fiscale de leurs clients, les particuliers très fortunés d’une part, les grandes entreprises d’autre part. Total : 12 000 milliards de dollars échappent à la vraie économie et à la redistribution.
Habiles, les banques n’assurent leur défense que sur la première des trois fonctions, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme : elles jurent leurs grands dieux qu’elles ne travaillent pas avec les pays de la liste noire du terrible GAFI . En omettant de préciser qu’il y a belle lurette que celle liste est vide : elle ne comporte plus aucun nom ! Tout va bien.

Hors cette responsabilité majeure, intrinsèque au fonctionnement et aux dérives des marchés financiers, le rôle de la banque devrait se concentrer sur le financement efficace de l’économie réelle.
Contrairement à ce que voudraient nous faire croire leurs beaux rapports de développement durable, leurs enjeux prioritaires de RSE ne résident pas dans la réduction des émissions de CO2 de leurs personnels et bureaux.
Ni dans la façon dont elles traitent leur personnel : les employés de banque sont généralement bien payés, leurs avantages sociaux et conditions de travail sont enviés par beaucoup d’autres professions.

Financer efficacement l’économie signifie permettre au plus grand nombre de personnes, physiques et morales, via l’argent qu’elle leur prête et la gestion de leur épargne, de réaliser leurs projets de vie. Au-delà du caractère universel de son objet social (tout le monde - ou presque - a un compte en banque), le service qu’elle peut rendre ainsi à la société est inestimable et dans l’échelle de classement de la valeur des activités humaines selon leur utilité sociale, elle se situe sans conteste dans le haut de la liste (en tout cas au-dessus des fabricants d’armes ou de tabac, par exemple).

En agglomérant des millions de demandes unitaires, la banque de dépôt et de crédit permet aux lois statistiques des grands nombres de jouer en faveur de la mutualisation des risques, du lissage des volatilités des couples offre-demande, de l’optimisation des allocations de capitaux et de la diminution des coûts de transactions. Elle crée ainsi une sorte de chaîne de solidarité économique entre acteurs (les dépôts des uns permettent en partie les crédits des autres), à l’instar d’un assureur, où les primes des uns payent les sinistres des autres.
Dans ce cadre, la responsabilité de la banque dite « de détail » s’articule principalement autour des trois thèmes suivants (le quatrième, le sujet de l’investissement socialement responsable a été abordé lors de billets précédents).

La responsabilité de la banque vis-à-vis de son client

Que le client soit emprunteur ou épargnant, la responsabilité de la banque de guichet s’exprime essentiellement en termes de transparence des conditions et tarifs, dans l’accessibilité et l’égalité d’accès aux produits et services, dans l’équité de traitement, dans la pertinence des conseils adaptés aux situations personnelles. On voit bien où est le rapport de forces entre un client, souvent peu éduqué financièrement, et la puissance de feu marketing d’une grande banque.

La question qu’est en droit de se poser chaque client est : « Ma banque agit-elle dans mon intérêt ? » Or, chacun d’entre nous peut constater qu’en matière de qualité du service, de satisfaction du client et d’éthique (voir chapitre 10), les banques et leurs agents ont encore de gros progrès à accomplir, c’est le moins qu’on puisse dire.

Par exemple, en matière de crédit à la consommation. Il y aurait beaucoup à dénoncer sur les pratiques des établissements de crédit spécialisés, souvent filiales de grands groupes de distribution ; on connait les dégâts du crédit revolving à 21 % de taux d’intérêt et au fonctionnement en spirale infernale, qui mène tout droit aux commissions de surendettement.

Tous les deux ans en France depuis vingt ans, le législateur vient au secours du consommateur bancaire : transparence et niveau des prix des services bancaires, règles sur les ventes groupées (ah, les fameux packages), incidents de paiement, facture bancaire,… Et les banques perdent régulièrement toutes leurs batailles d’arrière-garde, malgré le lobbying acharné de leur association professionnelle. Comme toujours, c’est la règlementation qui force le chemin de la responsabilité.
Et le combat continue : en 2010, les banques françaises se sont vues infliger par l’autorité de la concurrence une amende de 385 millions d’euros pour entente sur le traitement électronique de la compensation des chèques.

Le mythe des financements responsables

Un financement responsable serait un financement dont le banquier se préoccuperait des éventuels impacts négatifs de l’objet du financement (projet, activités, opérations…) sur l’environnement et la société. En fonction de leur gravité, analysée soi-disant objectivement (comment ? c’est bien là tout le problème), il pourrait conditionner son accord à la réalisation de mesures préventives ou correctrices, et même aller jusqu’à refuser le prêt en cas de manquements jugés inacceptables (par qui ? c’est là aussi la question).

Eliminons le cas des financements aux particuliers. Ils se font la plupart du temps (hors crédits immobiliers) sous la forme de crédits dits non affectés, amortissables ou revolving, ce qui signifie que le banquier ne sait pas (n’a pas à savoir et ne veut pas savoir !) l’objet du financement : un voyage à l’autre bout de la planète, un véhicule à moteur 4 x 4 - tous deux forts émetteurs de CO2 - un diamant pour votre maîtresse… C’est votre affaire, votre vie privée, pas celle du banquier, dont le métier n’est pas de vous faire la morale. Et sur quelles bases le ferait-il ? Ne demandez pas au banquier de se transformer en médecin, qui essaye de vous interdire de fumer.

L’idée d’un étiquetage CO2 des crédits à la consommation, ou des crédits de trésorerie aux entreprises, est une vaste blague. C’est vivre qui pollue (ou pas), ce n’est pas le crédit qui incite à polluer.

Reste le cas principal des financements des gros projets d’infrastructures (barrages, mines, autoroutes, centrales thermiques…) conduits par de grandes entreprises du secteur énergétique, minier ou du bâtiment, souvent dans des pays en développement. Ces projets - qui se chiffrent en dizaines voire centaines de millions de dollars - font intervenir de multiples acteurs, locaux et internationaux, experts, sous-traitants et pools de dizaines de banques et d’agences de crédit-export (les projets sont souvent réalisées par des entreprises occidentales) autour de la Banque Mondiale ou de sa filiale, la Société Financière Internationale, et des Etats concernés. Les études préalables durent plusieurs années et les impacts sur les écosystèmes riverains et les indigènes donnent lieu à des milliers de pages, rédigées par des experts appointés. Les ONG, surtout les environnementalistes , font systématiquement pression pour arrêter le projet ou du moins le dénaturer. Avec plus ou moins de succès, tout étant toujours question de rapports de forces. Evidemment, personne n’a tort, personne n’a raison, tant les choses sont complexes et imbriquées. Sur ce sujet, comme sur tous ceux du développement durable, rien n’est noir ou blanc, rien n’est bien ou mal, rien n’est binaire. Ce type de projets apporte généralement des bienfaits aux habitants (accès à l’énergie, à l’eau, aux transports…), mais génère évidemment des dommages collatéraux, que les réparations et compensations ne peuvent totalement effacer. Dans le monde du progrès technique, on ne fait jamais d’omelettes sans casser quelques œufs. Les bilans sont évalués différemment selon la perspective de chaque partie et donnent lieu à des débats sans fin.
Pour améliorer leurs chances d’aboutir, les ONG font désormais pression sur les banques, notamment au moyen de campagnes de dénigrement. Sans grand-succès, car on ne peut exiger des banques qu’elles se substituent aux maîtres d’ouvrages et sponsors du projet, commandités par un Etat souverain, qui en sont les décideurs et possèdent les compétences techniques pour mener les études d’impact, dont ne veulent pas se doter les banques.
Si les affrontements avec les ONG sont souvent vifs, leurs échos ne dépassent généralement pas les limites du microcosme du développement durable. Car les controverses relatives à des projets situés à l’autre bout de la planète sont plus ou moins bien relayées par les médias, et la responsabilité d’une banque étrangère (surtout si elle est chinoise !) est diluée et trop peu engagée pour lui faire porter un risque de réputation capable de nuire au sommeil de son PDG (cf. chapitre 8). Les banques font néanmoins un peu semblant de jouer le jeu en signant des Chartes éthiques , qui n’engagent que ceux qui y croient, comme tous les Codes de conduite, manifestes et autres leurres, qui encombrent le paysage du développement durable.
Les banquiers financent l’économie telle qu’elle existe. Si elle est verte ou si elle est sociale, tant mieux, si elle est noire, ou brune, ce n’est pas leur problème. L’argent n’a pas de couleur.

L’égalité d’accès aux services bancaires et l’aide aux personnes en difficulté économique

Tous les clients ne sont pas égaux. Dans n’importe quel portefeuille de clients bancaires statistiquement significatif, plus de 80 % des clients font perdre de l’argent à la banque. Il s’agit de clients modestes, souvent pudiquement baptisés « grand public », dont le solde de compte-à-vue varie chaque mois entre environ 2000 euros et zéro. Dotés d’une faible épargne de précaution, ils n’utilisent pas les services bancaires de façon optimale pour la banque et génèrent des frais de gestion (suivi des comptes et des découverts). La banque ne gagne sa vie que sur les clients du haut du panier, dits « bonne gamme » et fortunés. Devinez qui elle va préférer chouchouter.
Le vieux proverbe « On ne prête qu’aux riches » est éternellement vérifié : il signifie que les pauvres vont payer le crédit beaucoup plus cher, que leur épargne leur rapportera moins (les taux de rémunération croissent avec les montants déposés) et qu’ils ne bénéficieront pas de conseils avisés, synonymes de perte de temps pour le banquier.

C’est ainsi que les banquiers laissent généreusement la microfinance, outil chronophage et peu rémunérateur, dédié aux chômeurs et aux personnes en graves difficultés financières, aux institutions spécialisées ou aux organismes à but non lucratifs : les banques françaises (essentiellement des mutualistes) ont accompli l’exploit d’accorder 3 926 microcrédits personnels au premier semestre 2010 (il y en a tellement peu qu’on peut les compter un à un) !
« Selon que vous soyez puissants ou misérables… ».

La banque aime à limiter son rôle à celui d’un simple intermédiaire financier, totalement « neutre », qui permet, grâce à son accès privilégié aux marchés financiers de gros, que l’argent des investisseurs se dirige tout seul vers les entreprises ou les emprunts d’Etats, au service de la croissance privée ou publique. Sauf exceptions, souvent conjoncturelles et temporaires, la banque ne prête pas ses propres fonds. Elle ne se sent pas concernée par l’usage et l’utilité sociale de l’argent, aux deux bouts de la chaîne, l’investisseur d’un côté et l’emprunteur de l’autre.

Pourtant, les banques ont une responsabilité phénoménale sur la marche du monde et le bien commun. Le défi de l’argent responsable est certainement l’un des plus stratégiques pour le futur de la planète. Si vous voulez changer le monde, commencez par changer la finance. Osera-t-on poser la question : comment faire de la banque un service public ?

L’instruction de l’affaire dite « Kerviel » (au fait, pourquoi ne dit-on pas « affaire Société Générale » ? Parce que cette banque en a connu de multiples ?) ne posait, au fond, qu’une seule vraie question : quelle est la part d’incompétence par rapport à la part de connivence du management de la Société Générale ? Le verdict de la justice française du 5 octobre 2010 a répondu : la banque n’est responsable de rien. CQFD.

2 novembre 2010

Pour que Cancun ne soit pas un autre "flopenhague"

Un an après le fiasco de Copenhague, les négociateurs de tous les pays du monde en matière de climat vont se retrouver à Cancun fin novembre. Le débat dépasse de loin la cause des militants environnementalistes : il s’agit d’enjeux géostratégiques qui font s’affronter des blocs-continents.
Le film qui se joue pourrait s’appeler « Le bon, la brute et le truand ». L’Europe joue le rôle du bon : bon élève de la classe (marché européens des quotas de CO2, énergies renouvelables nordiques, nucléaire français, …), mais insuffisamment unie, naïve et maladroite, elle pèse peu devant les autres adversaires.
La Chine endosse le costume de la brute : son développement économique à marche forcée ne doit souffrir d’aucune contrainte (qu’elle soit de nature environnementale ou sociale d’ailleurs). Elle est en guerre commerciale totale contre les Etats-Unis sur les technologies vertes et est engagée dans un affrontement majeur sur l’accès aux terres rares, matériaux indispensables au développement de ces mêmes équipements verts.
Les Etats-Unis tiennent le rôle du truand : plus gros pollueur de la planète, l’américain moyen ne négocie pas son mode de vie, ni ne veut transférer ses technologies, et reste sous influence des lobbies des industries fossiles et de leurs amis politiciens républicains.
Mais il y a un grand absent au casting principal : l’Afrique, continent sacrifié, pays le plus vulnérable au réchauffement climatique et le moins responsable historiquement.
C’est l’Afrique qui souffrira la première, dans sa chair, des non-décisions de Cancun.

Comme tout conflit armé, cette guerre économique fait des blessés et des morts. En matière de climat, la politique du chacun pour soi ne peut être gagnante pour personne : la théorie des jeux (« Je n’avance que si tu avances, et réciproquement »), appliquée à la problématique du bien commun, nous apprend en effet qu’il n’y a que deux scenarios : « Tous ou personne ». On s’en sort tous ensemble ou bien tout le monde coule sur le Titanic, les riches comme les pauvres.

Que peut-on espérer de Cancun, alors que les réunions du G20 n’accouchent régulièrement que de paroles incantatoires et se contentent de laisser pourrir les situations, que les 0,7 % d’aide publique au développement ne sont toujours pas au rendez-vous, que le cycle de Doha est en panne et que l’OMC joue à contre-courant de la lutte contre la pauvreté, que les promesses de Copenhague en matière de fonds climatiques ne sont même pas respectées, et que les objectifs du millénaire ou ceux de la préservation de la biodiversité ne sont pas tenus ?

Comme les grands problèmes d’aujourd’hui (la pauvreté, la faim dans le monde, les maladies) ont plus de poids que ceux de demain, il nous faut prioriser les solutions qui jouent sur les deux échelles de temps. Le changement climatique ne peut plus être traité, par des bureaucrates, comme une question autonome, mais il doit être relié aux problématiques du développement, de la lutte contre la pauvreté et de l’aide pour le développement des pays pauvres (notamment via leur agriculture).
Les Etats ont su trouver des centaines de milliards de dollars pour sauver les banques privées. Qu’on ne nous dise pas qu’ils ne peuvent rassembler la première centaine de milliards, promise par Copenhague, nécessaire aux fonds de développement et d’aide à l’adaptation des pays pauvres, qui seront les premiers frappés par l’aggravation des dérèglements climatiques

Les peuples ne veulent pas de la guerre économique, la vie serait douce si l’on ne nous forçait pas à lutter les uns contre les autres. Forçons nos dirigeants à gouverner enfin dans le sens du bien commun, de l’équité et de la solidarité avec les défavorisés.

7 octobre 2010

Le Livret de Développement Durable, une appellation non contrôlée

Quel chargé de clientèle bancaire saura vous expliquer en quoi votre Livret de Développement Durable (LDD) est …« développement durable » ? C’est le point de départ du film documentaire de Jocelyne Lemaire Darnaud « Moi, la finance et le développement durable ».

En 2007, pris de fièvre verte pré-Grenelle, les créatifs de Bercy ont transformé l’ancien Codevi (compte pour le développement industriel), créé en 1983 et qui servait (soi-disant…) au développement des PME en leur accordant des prêts à taux plus ou moins attractifs (hum…), et l’ont rebaptisé Livret de Développement Durable. Quelle innovation !
Compte tenu du foisonnement de produits règlementés que les banques sont obligées de distribuer sans les avoir conçus, on peut dire que le Directeur Marketing des banques françaises habite à Bercy (les néolibéraux pensent d’ailleurs que ça a un petit arrière-goût soviétique…).

L’appellation « développement durable » accolée à ce livret d’épargne du pauvre (le plafond est de 6000 euros, il sert un taux astronomique de 1,75 %), sorte de mini-Livret A (ou de complément au Livret A pour les écureuils qui en ont atteint son plafond et sont attachés à la sécurité et la liquidité de leurs noisettes), s’apparente à du greenwashing (technique de communication trompeuse qui consiste à faire croire au consommateur que le produit à des impacts bénéfiques sur l’environnement).

Le Livret A et le LDD (de l’ordre de 240 milliards d’euros pour l’ensemble) sont assujettis aux mêmes règles de centralisation des fonds auprès la Caisse des Dépôts et Consignations, noble institution napoléonienne au service du bien public. Les fonds centralisés sont affectés au financement à taux réduit (puisque le taux de rémunération de l’épargne l’est) de la construction de logements sociaux de la France, qui en a bien besoin. C’est effectivement du domaine du développement durable (son pilier social) ; il n’y a pas plus « socialement responsable » comme produit financier que le Livret A. Mais ce n’est pas du tout ce qu’entendaient par là les géniaux inventeurs du LDD.
Les encours de LDD atteignaient 69 milliards d’euros fin 2009, plus que ce que les banquiers appellent par ailleurs l’Investissement Socialement Responsable (ISR) qui se présente sous forme d’OPCVM (50 milliards d’euros).
Les intérêts du LDD, au taux pharamineux de 1,75 % (à comparer au retour sur capital dans les banques qui avoisine les 15 %, même après le passage de la crise), ne sont pas versés par les banques mais par la CDC (donc, finalement presque par le contribuable, s’agissant d’une banque publique…), qui porte la garantie de l’Etat pour les dépôts et qui rémunère les banques (au taux de 0,6 %) pour l’effort (épuisant) de collecte de ces livrets (dans le jargon marketing on parle de produits achetés pour ces livrets, par opposition aux produits vendus).

Ces règles de centralisation sont assez opaques et en tout cas changeantes (le régime actuel est transitoire jusqu’à 2012), au gré des lois de modernisation de l’économie (sic).
Le taux de centralisation, toutes banques confondues, est aujourd’hui de l’ordre de 66 %. C’est une moyenne. Ainsi, la Banque Postale, bonne élève (mais qui ne distribue pas encore beaucoup de crédits), a choisi de centraliser 100 % des fonds à la CDC (donc, quand vous ouvrez un LDD chez elle, il sert exclusivement à aider le logement social, comme le Livret A), les banques mutualistes centralisent à 88 %, les autres banques privées à hauteur de 20 % : tous les Livrets ne sont pas également « développement durable».

Les fonds non centralisés (donc, en gros, 30 %) restent à la disposition des banques distributrices pour s’adosser, dans leur gestion d’actif-passif (ALM, Asset and Liabilities Management), à des crédits. 90% des montants doivent être consacrés au financement des PME (comme avant, avec l’ancien Codevi). Bien sûr, les PME trouvent des financements d’investissement auprès des banques, indépendamment de l’existence ou pas du LDD et du niveau de son encours.
Seuls, 10 % (quelle générosité écologique !) de ces encours doivent être consacrés à des prêts dits « verts », c’est-à-dire à des financement d’économies d’énergie dans l’immobilier ancien des particuliers. Les critères d’éligibilité, qui sont ceux des crédits d’impôts développement durable, donnent lieu à une paperasse de plusieurs kilos de formulaires, que le chargé de clientèle moyen n’a ni le temps ni le goût d’apprendre par cœur, afin de vérifier si les 2,5 cm d’isoflex annoncés par son client sont bien éligibles.

Mais qu’est-ce qu’un prêt dit « vert », dont le taux est supposé être plus attractif pour soi-disant stimuler la fameuse économie verte ? Ce n’est pas un prêt règlementé (ouf !), contrairement à l’éco-prêt à taux zéro (prêt spécial pour les riches qui ont les moyens d’effectuer de gros travaux de rénovation) ou au tout nouveau prêt à taux zéro plus (on n’arrête pas le progrès à Bercy), mais un prêt du secteur libre pour lequel les banques appliquent les taux qu’elles veulent. Allons voir sur le site internet d’une grande banque privée ce qu’elle raconte. S’agissant de prêts de montants inférieurs à 21 500 euros (barrière fixée par la réglementation), le prêt s’apparente à un prêt à la consommation standard, à taux fixe. Pour un montant de 5000 euros (prix d’une chaudière à basse consommation) et sur une durée de 4 ans, par exemple, la différence de taux entre un prêt classique, non vert (pour financer votre 4 x 4 ou votre voyage aux Seychelles, vilains !…) et un prêt vert, équivaut à l’avantage extraordinaire de 3 euros par mois (le prix d’un café). Tout ça pour ça ! Pour les prêts supérieurs à 21 500 euros (qui s’apparentent alors à la catégorie des prêts immobiliers), on vous renverra sur un simulateur de prêt immobilier classique, sans la moindre mention d’un quelconque avantage tarifaire (à découvrir, donc, avec délices auprès de votre conseiller…).

L’encours de ces prêts verts atteignait seulement 1,8 milliards d’euros fin 2009, faute de demande.
Mais il y a vraisemblablement par ailleurs quelques autres millions de financements verts, éligibles ou non, qui sont effectués via des prêts classiques ou des prêts revolving standard, car les clients ne sont pas tenus d’indiquer la nature de leurs dépenses à leurs banquiers (heureusement pour leur vie privée !). Et ces derniers ne cherchent d’ailleurs pas non plus à savoir, l’argent n’ayant pas d’odeur.

Enfin, dans une banque, l’affectation, euro pour euro, d’une ressource d’épargne à un crédit, et donc sa traçabilité, sont quasiment impossibles, car la transformation passe par la cuisine opaque de la gestion actif-passif, espèce de gros chaudron où les banques mélangent les euros en fonction de leurs degrés supposés de liquidité, ceux de leurs clients avec ceux qu’elles empruntent sur les marchés financiers du loyer de l’argent, à court, moyen ou long terme. Les euros sont fongibles et les crédits qu’elles accordent à tel ou tel client pour tel ou tel investissement (vert, brun ou de quelque couleur qu’il soit…), ne peuvent se prévaloir d’être issus de tel ou tel épargnant (qu’il soit socialement responsable ou pas).

Résumons nous : en gros, 70 % de l’épargne des LDD sert au logement social (c’est bien), 27 % finance le développement des PME (n’importe lesquelles, qu’elles soient vertes ou qu’elles polluent…), et 3 % - au mieux - sert à aider les cadres supérieurs, sponsorisés par le contribuable, à se faire poser des doubles fenêtres (que ce soit d’ailleurs pour des raisons phoniques ou climatiques…). C’est-à-dire ceux qui n’ont justement pas besoin de crédit, mais qui, issus des couches sociales favorisées, ont les moyens intellectuels de traverser le parcours du combattant consistant à trouver l’artisan de proximité compétent, capable de vous installer correctement les panneaux photovoltaïques sans casser les tuiles du toit (après bagarres avec la mairie et les Bâtiments de France…), les isolants qui vont bien ou autres équipements complexes pour lesquels il n’existe pas d’offres standardisées ni de filières professionnelles formées.

Ce n’est pas le taux du crédit qui stimulera l’économie verte, mais les professionnels compétents et les produits efficaces et accessibles au plus grand nombre.

Le développement durable est une chose suffisamment sérieuse pour ne pas la laisser aux mains décridibilisatrices du greenwashing et de l’incompétence.

1 octobre 2010

Quelles évolutions à moyen terme pour le contexte environnemental ?

Essayons de tracer, succinctement, quelques tendances générales pour les évolutions à horizon 2020 – 2030 du contexte environnemental, avec leurs principales implications pour les producteurs et consommateurs.

Jusqu’à ces temps derniers, le pilier environnemental a occupé le devant de la scène du tripode du développement durable. Essentiellement pour deux raisons :

- la médiatisation croissante des dégâts environnementaux (catastrophes industrielles, perturbations climatiques) avec la pression continue de la démographie, de l’industrialisation et de l’urbanisation sur les biens naturels

- les deux autres piliers (économique et social) n’étaient généralement pas vraiment intégrés. Et ce, par facilité : complexité des problématiques et cloisonnement des disciplines, terrains déjà bien occupés par les acteurs traditionnels (économistes, politiques)

Mais la crise mondiale est venue révéler, par son amplification soudaine et terrible, les grandes faillites de notre système socio-économique : un milliard d’êtres humains souffrent de la faim, deux milliards vivent dans la pauvreté et 80 % des 4 milliards d’individus qui vont naître les rejoindront, chômage massif endémique des pays industrialisés, creusement dramatique et généralisé des inégalités.

Lorsque les temps se durcissent et que les sources de financements publics se tarissent, on est conduit à opérer des choix de priorité plus tranchés (cela s’appelle d’ailleurs faire de la politique). Les chaînes d’impacts (réflexions – décisions – actions – résultats) se raccourcissent : l’homme passera devant l’orang-outan, le tigre du Bengale ou le bébé phoque.

Pour autant, même si les problématiques environnementales sont donc en train de passer au deuxième plan des préoccupations, les réalités physiques ne disparaissent pas et les faits restent têtus : nous entrons dans un monde de rareté et qui ne pourra plus absorber indéfiniment nos externalités (finitude des espaces, limites des territoires, saturation des écosystèmes, effets de seuil, phénomènes d’emballement, irréversibilité des dégâts).

Dans les années qui viennent les questions environnementales devraient évoluer autour de 4 thèmes majeurs, avec bien sûr de complexes interactions (multiples boucles de rétroactions) entre eux. Par ordre d’importance décroissant :

- la rareté des ressources
- la quantité et la qualité de l’eau
- les impacts de l'environnement sur la santé
- la dégradation de la biodiversité

La rareté des ressources

L'engouement actuel (quasiment obsessionnel, parfois irrationnel) pour le sujet du changement climatique, avec son impératif de réduction des GES, devrait s’atténuer. Face au principe de réalité qu’imposent la démographie et l’accroissement des besoins en énergie de 50 % d’ici à 2030 (avec un mix énergétique encore à 80 % fossile), la concentration de molécules de GES dans l’atmosphère continuera d’augmenter fortement, avec ses effets particulièrement négatifs (sècheresses) dans certains pays du Sud.

L’amélioration de l’efficacité énergétique (voie prioritaire) sera donc plus motivée par les questions géopolitiques de sécurité énergétique d’une part, et la diminution programmée des réserves d’énergies fossiles d’autre part (malgré l’amélioration à venir des technologies d’extraction des pétroles et gaz non conventionnels). Quand la demande dépasse l’offre et que la rareté s’annonce, en général les prix augmentent. Il faudra vivre avec une énergie chère. Les processus industriels devront savoir fabriquer des produits « légers » et smart, et à la production relocalisée (optimisation des km parcourus tout au long de la supply chain).

Au-delà des stocks d’énergie, les phénomènes de rareté toucheront la plupart des ressources du sous-sol (au premier chef les métaux rares et les terres rares) : les industriels devront réfléchir aux processus et aux produits qui en sont économes, voire qui peuvent s’en passer.

En outre, la course aux terres arables (voire les guerres…), la pression sur les ressources halieutiques, l’inefficacité écologique de certains types d’élevage (bovins et porcins notamment) vont exiger des professionnels de l’agro-alimentaire de savoir accompagner les inévitables changements de régimes alimentaires.

La quantité et la qualité de l’eau

L’accès à l’eau et aux infrastructures d’assainissement est aujourd’hui l’un des facteurs explicatifs les plus importants de la maladie et de la pauvreté dans le monde. Etonnamment, le sujet donne lieu à un volume de publications bien inférieur à celui du changement climatique. La pression démographique et la montée des enjeux géopolitiques (guerres de l’eau) vont plus vite que les solutions technologiques (il faudra bien arriver à dessaler l’eau de mer efficacement), organisationnelles (gouvernance publique - privée) ou financières (question fondamentale du prix de l’eau).

Les industriels devront notamment savoir comptabiliser (concept d’eau virtuelle) puis économiser l’eau utilisée dans leurs processus de fabrication et leurs produits. Ils devront en informer clairement les consommateurs occidentaux par affichage (étiquette environnementale).

Les impacts de l’environnement sur la santé

Plus de 15 % des maladies, dans les pays de l’OCDE, ont pour cause l’environnement. Certains dirigeants chinois eux-mêmes commencent à se demander à quoi sert une croissance de 10% si « on ne peut plus respirer ». Des épouses et enfants des cadres occidentaux expatriés en Asie refusent de les accompagner car l’air des grandes métropoles asiatiques est devenu tout simplement irrespirable. Personne ne sait quels seront les impacts des milliards de tonnes de produits chimiques déversées dans les sols ou contenus dans les produits ménagers et les habitats sur la prévalence des cancers ou autres maladies et sur la durée de vie en bonne santé des populations. Personne ne peut affirmer que des drames de type amiante ne se reproduiront pas, qu’ils proviennent des nanoparticules, de radiations nucléaires, d’ondes électromagnétiques ou d’émanations toxiques diverses et variées.

La santé est le bien le plus précieux de chaque individu, juste après sa vie. Les dépenses de santé (tant en chiffres absolus qu’en % du PIB) vont augmenter considérablement dans tous les pays. Jusqu’à présent, la quasi-totalité des dépenses s’est concentrée sur l’aval, c’est-à-dire les traitements en vue de la guérison après le déclenchement de la maladie. L’enjeu est désormais de déplacer plus efficacement les investissements sur l’amont, c’est-à-dire la prévention. S’agissant de l’alimentation, il sera demandé aux industries agro-alimentaires de jouer un rôle dans cette prévention. Les autres producteurs de grande consommation devront aussi démontrer l’absence de nocivité de leurs produits sur la santé pour conserver leur droit d’opérer.

La dégradation de la biodiversité

La démographie, l’urbanisation massive, l’artificialisation des territoires, la standardisation des modes de vie et l’agriculture intensive jouent violemment et inexorablement contre la biodiversité.

C’est le thème à la mode, tarte-à-la-crème des sujets de colloques en 2010 (année de la biodiversité oblige), en passe de doubler le sempiternel changement climatique dans l’audimat du microcosme écologique. Peu savent vraiment ce que c’est et de quoi ils parlent. Comme pour le développement durable dans sa globalité, la définition est molle, et surtout, il n’existe pas d’unités de mesure, contrairement à la tonne de CO2. La science ne sait pas décrire avec suffisamment de précision les milliards de chaînes d’impacts (dont la chaîne alimentaire) entre les différentes espèces, dans tous les coins de la planète, pour déterminer les rôles et les incidences (positives et négatives) respectives. Surtout que ce labyrinthe de relations évolue tous les jours, la nature étant un système en mouvement permanent.
D’un point de vue des services rendus à l’homme ou des risques qui pèseraient en retour sur lui, toutes les espèces ne se valent pas, certaines sont plus égales que d’autres.
Peut-être que tel gastéropode quasiment invisible, ou telle plante au nom barbare, a un rôle un million de fois plus important (pour notre santé par exemple) que les jolis ours blancs si souvent photographiés sur leur banquise.
Il est peut être complètement stupide, d’un point de vue économique (c’est-à-dire d’un point de vue des priorités politiques de choix budgétaires) de faire dépenser par des constructeurs de vois ferrées ou d’autres agents économiques privés ou publics, des centaines de millions d’euros pour préserver le grand hamster d’Alsace ou le vison d’Europe.
En l’absence d’instruments fiables permettant d’éclairer les décisions intelligentes, c’est le rapport de force entre les lobbies écologiques, les services de l’Etat (multiples administrations, à l’échelon local, régional ou national, qui se marchent allègrement sur les pieds dans le cadre d’une déresponsabilisation collective) et les acteurs privés (qui calculent et arbitrent leur coût de leur consentement), qui tient lieu de gouvernance.
En même temps qu’une augmentation à venir des attaques des ONG contre les entreprises (les procès créant la jurisprudence), on devrait assister à une intensification de la règlementation mais avec une meilleure structuration et une harmonisation progressive du droit, ainsi qu’une certaine convergence et uniformisation au niveau de l'Europe, mais pas au niveau mondial (au delà des espèces protégées par l'UICN).
Les grandes entreprises (seuls agents à disposer de moyens financiers) seront de plus en plus sollicitées par les Etats pour payer les « compensations » de leurs dégradations de la biodiversité. Des marchés financiers d'échanges de quotas de biodiversité seront expérimentés, dont il est difficile de prévoir le succès.


Outre ces 4 sujets majeurs, d’autres thématiques environnementales impacteront bien sûr les entreprises et les consommateurs comme par exemple celle des déchets, dont le volume croit plus vite que le PIB, et pour lesquels la responsabilité du producteur va s’élargir.
Globalement, les entreprises devront savoir anticiper l’accroissement du volume de règlementations (via notamment des stratégies de lobbying responsable) et du niveau d’exigence des associations de consommateurs (par exemple, demande d’un étiquetage environnemental complet : CO2, matières, eau, km parcourus...).
Ces pressions ne seront malheureusement pas suffisantes (question de rapport de forces) pour transformer profondément l’économie capitaliste mondiale et la faire passer du schéma traditionnel « extraction – production – distribution – consommation – destruction » au cercle vertueux d’une économie circulaire et de fonctionnalités, basée sur l’usage et la location de services et non la propriété. L’intérêt premier des producteurs reste de vendre de plus en plus de produits, aux mêmes consommateurs. Des produits à longue durée de vie, des produits qui se loueraient, des produits qui se partageraient, des produits qui se recycleraient, des produits qui se transformeraient en services grâce à la coopération intelligente de plusieurs acteurs de la chaîne, etc… tout cela va contre l’intérêt économique fondamental des producteurs. Comme ce sont eux qui façonnent le monde dans lequel nous vivons (500 milliards de dollars de publicité par an pour nous faire changer de voiture ou de téléphone) et que le pouvoir de l’offre est supérieur à celui de la demande, il n’y a aucune chance que ce système de prédation change rapidement.

Mais au-delà de ces pressions accrues, on devrait surtout assister à une plus forte segmentation des marchés de consommateurs par le pouvoir d’achat. Aujourd’hui, tout le monde ou presque (dans les pays développés) possède un iphone (le gosse de riche comme le fils de famille modeste). Demain, seules les catégories les plus favorisées pourront se payer les produits qui nécessiteront l’utilisation de matériaux rares dans leur composition ou leurs processus de fabrication, ou qui seraient énergivores, ou qui auraient été «purifiés», etc...
Les autres devront se contenter de produits à faible qualité environnementale, mais à bas prix.
La question des conditions de vie des consommateurs n'est pas différente de celle des conditions de vie des travailleurs. Puisque ce sont les mêmes.

A la fin de la journée, le pilier social ressort toujours, car c’est définitivement l’homme qui reste la finalité.

27 septembre 2010

Quel avenir pour le développement durable ?

L’environnement, une tendance « virtuelle »

Depuis une douzaine d’années, le développement durable (avec sa déclinaison dans le monde de l’entreprise, la RSE) est, de plus en plus, « à la mode ». Mais il l’est surtout dans les medias et chez les organisateurs de séminaires ! C’est-à-dire dans les mots, dont se gargarise une élite microcosmique, et non dans la réalité. L’aspect fourre-tout du concept, insuffisamment structuré, permet en effet d’y mélanger un grand nombre de problématiques hétéroclites. Dans la liste à la Prévert des nombreux sujets estampillés DD, c’est l’environnement (grands désastres écologiques, catastrophes industrielles, dérèglements climatiques…) qui est arrivé en tête, en occupant le vide laissé par la disparition de la dialectique entre le pilier social et le pilier économique (chute des régimes communistes, triomphe du capitalisme).
A tel point que, dans l’esprit de beaucoup, le développement durable se limite à la préservation de l’environnement. Points d’orgue de cette tendance en Europe : le Grenelle de l’environnement français (belle opération de communication élyséenne, même si elle a accouché de petites souris) et les psychodrames de Copenhague et de la taxe carbone (au sein du débat environnemental européen, le changement climatique a pris une place étonnamment disproportionnée).
Malgré cela, au-delà de son microcosme, l’écologie peine à convaincre l’opinion publique et les électeurs en tant que force politique autonome.
Aujourd’hui, la crise mondiale repositionne l’écologie en arrière-plan, comme un problème de riches.
Après les controverses sur le climat, le rabot des niches fiscales vertes (déficits obligent) et les changements perpétuels de règlementations (en matière d’incitations aux énergies propres notamment), la préoccupation environnementale devrait connaître son asymptote.

Aux Etats-Unis, d'ailleurs, l’environnement n’est clairement pas dans l’agenda économique et politique. En Chine et dans les grands pays émergents, la marche forcée du développement économique ne doit pas être contrainte par des effets collatéraux, même si les dirigeants sont conscients du risque d’étouffement (au sens propre comme au figuré !). Leurs investissements dans les cleantechs n’ont pas pour objet de sauver la planète mais il s’agit simplement d’un nouveau business, comme un autre (développer des OGM par exemple), avec de l’argent à gagner via la création de bulles spéculatives.

Marx, réveille-toi !

La dialectique traditionnelle « économie versus social », au sens marxiste du terme (capital versus travail), est en train de (re)prendre le dessus sur les autres préoccupations comme l’environnement et de revenir en force sur le devant de la scène.

L’extension du primat de la logique d’efficacité financière à tous les secteurs d’activité (maximisation des rendements à court-terme, accumulation exponentielle et accaparation du capital et des profits par l’élite, accroissement des externalités négatives et socialisation des pertes et des risques) détruit l’égalité (l’exemple actuel de la contre-réforme des retraites en France est probant).
L’explosion spectaculaire des inégalités dans tous les pays développés n’est plus à démontrer (moins de 1% des foyers de la planète se partage 38 % de la richesse privée mondiale).
Elle s’explique par un affaiblissement considérable et continu de la puissance publique, dans son rôle redistributif face aux mécanismes inégalitaires de la mondialisation financière. Cet affaiblissement a été voulu et programmé par les Etats eux-mêmes puisque les gouvernements occidentaux (dont les dirigeants sont de connivence avec le monde des affaires), au lieu de jouer leur rôle de protecteur des faibles, ont jeté sciemment de l’huile sur le feu de la mondialisation (suppression progressive des garde-fous, détricotage des filets de protection sociale), encourageant et amplifiant ainsi ses effets dévastateurs, particulièrement sur les catégories défavorisées mais désormais aussi sur les classes moyennes.

Aujourd’hui tétanisés par les déficits et endettements publics gigantesques qu’ils ont eux-mêmes créés (réductions d’impôts pour les riches, sauvetage de leurs amis de la finance), les Etats se sont mis hors jeu.

Focalisation sur le court-terme

L’impact économique et social de la grande crise financière mondiale a relégué aux oubliettes la généreuse préoccupation du développement durable vis-à-vis des générations futures.
Qu’il s’agisse du contexte électoral français, de la cacophonie européenne, ou de la rigidification des relations Chine – USA, toutes les conditions sont réunies pour empêcher toute naissance d’une quelconque grande réforme ou grand projet fédérateur à impact de long terme, à quelque niveau que ce soit (national, régional et encore moins mondial) : pas de politique industrielle, pas de réforme fiscale, pas de vraie réforme des retraites, pas de coopération européenne, pas de gouvernance mondiale de la monnaie, des échanges financiers (pas de nouveau Bretton Woods à l’horizon, hélas) ou de l’environnement.

Les grandes entreprises, elles, ne se sont saisies du concept de développement durable que comme objet de communication au service de leur image. Bien qu’elles s’en défendent évidemment, leur discours en la matière (ô les beaux rapports de développement durable !) n’est que du greenwashing. Elles n’obéissent qu’à la dictature du ROE trimestriel et l’actionnaire reste leur seul maître, qui ne leur demande pas d’être responsables (l’ISR est invisible) mais rentables, peut importe comment.

Si les entreprises se mettent soudainement à tomber amoureuses des réductions de CO2, c’est uniquement parce que leurs stratégies post-crise se limitent à la diminution drastique des coûts (quelle imagination !), dont leurs factures énergétiques font partie.

A tous les niveaux, seul prévaut désormais le court-terme (après moi le déluge). Survivre au jour le jour, tel est le projet collectif qui est proposé aux populations, aux citoyens, aux employés.

Victoire de l’individualisme

L’individualisme, valeur (sic) prônée par le néolibéralisme, règne aujourd’hui à tous les étages. Au-delà du repli sur soi généralisé causé par la peur du déclassement (je n’ai pas grand-chose, mais je dois m’estimer heureux car je pourrais avoir moins…), tout est fait pour que tout le monde soit contre tout le monde.
Depuis l’organisation de la faillite syndicale (particulièrement en France), jusqu’au mythe entretenu de l’auto-entrepreneur qui remplacerait les millions de salariés qui créent la valeur !
Les actions de solidarité ou les manifestations de générosité ne s’exercent que sur des bases limitées : solidarités catégorielles ou familiales. Sans l’aide de leurs parents et de leurs grands-parents - du moins ceux qui en ont les moyens -, la détresse des jeunes - taux indécent de 25 % de chômage - exploserait.
On ne voit pas, dans le paysage des rapports de force, d’associations de pauvres, de chômeurs, de précaires ou encore moins de SDF.
Les forces conservatrices entretiennent les clivages de toutes sortes, en jouant cyniquement sur l’incapacité historique de ce pays à entretenir un dialogue social ouvert et apaisé, basé sur l’écoute et le respect des autres. La panne du développement durable et de la RSE n’est pas étonnante, puisque ces démarches sont basées sur la participation effective de chacune des parties prenantes au projet collectif d’une organisation.

Aggravation des tensions

Tout cela accélère la détérioration des rapports de confiance entre les acteurs : défiance persistante de l’opinion publique vis-vis des entreprises, décrédibilisation totale du politique, recrudescence des corporatismes, des sectarismes ou communautarismes, du populisme (progression de l’extrême-droite), des exclusions (opportune chasse aux Roms), opposition des générations (attaque des systèmes de retraite par répartition)…

La guerre économique entre les pays, mode de fonctionnement naturel du capitalisme mondial, et qui va être encore exacerbée par la chasse frénétique aux ressources naturelles, aux matières premières et aux terres agricoles, ne peut qu’amplifier les tensions entre les acteurs, tant à l’intérieur des frontières qu’entre les nations (les guerres en Irak, en Afghanistan, au Soudan, en Palestine…sont déjà des guerres d’accès aux ressources).

La question de la limite de capacité des classes défavorisées et des pauvres à supporter les nouvelles pressions et les sacrifices avant des manifestations de soulèvement populaire n’est désormais plus ridicule. La bonne question est en effet : jusqu’où peut-on aller ? jusqu’à quel taux de pauvreté (aujourd’hui 13 % en France) ? quel taux de chômeurs (l’Espagne arrive bien à survivre avec 20 %) ?

Ne rions pas de ceux qui se demandent si la révolution, qui n’a pas eu lieu en 1789 (c’est un scoop !), arrivera un jour : nous sommes toujours gouvernés par un monarque, entouré d’une cour (les nobles sont les grands capitaines d’industrie et leurs banquiers). Et même si les paysans, qui formaient la population française de 1789, ont été remplacés par les employés, qui ont succédés aux ouvriers, c’est toujours le travail du peuple qui enrichit les riches, peut importe que le canal ait changé (aujourd’hui le siphonage de la valeur s’effectue via les remontées des profits vers les actionnaires).

Restons à l’écoute des signaux faibles : les séquestrations de patrons ou les suicides en entreprise (actes d’une violence ultime que l’on retourne contre soi-même quand il n’y a plus d’espoir) sont-ils des signes avant-coureurs ?

Les risques peuvent-ils jouer le rôle de contre-pouvoir ?

Le contexte actuel se caractérise surtout par une forte montée des incertitudes, des fréquences et des amplitudes des réalisations des risques de tous ordres et à tous niveaux : risques financiers, économiques, sociaux, écologiques, risques sanitaires, risques de guerres et terrorisme, risques éthiques et de réputation.

Compte tenu de l’inefficacité du pouvoir des urnes (les jeunes votant peu, les vieux - traditionnellement à droite - sont surreprésentés dans l’électorat), seule la réalisation des risques aurait théoriquement désormais la possibilité de faire tomber les élites de leur positions oligopolistiques : BP se serait sans doute bien passé de la catastrophe du golfe du Mexique, malgré qu’il ait tout fait pour qu’elle arrive. Woerth se dit qu’il fera dorénavant plus attention avant de passer la ligne jaune. Même si la classe dirigeante est douée d’une excellente capacité à rebondir (210 millions d’euros pour Tapie, navettes des carrières entre Goldman Sachs et l’administration américaine, etc..).

Justement, la plupart des décideurs ne sont pas vraiment préoccupés par la gestion de la montée des risques. "Même pas peur ! ".Soit ils ne seront plus là quand les risques s’avèreront (fort turn-over du management accentué par les mouvements de fusions-acquisitions), soit ils trouveront des coupables, des fusibles et des boucs émissaires (affaire Kerviel), soit l’Etat - qu’ils ont pourtant tant décrié - viendra les aider (parfait exemple du sauvetage par le contribuable du secteur financier responsable de la crise), soit leur position financière personnelle et leurs réseaux les mettront à l’abri de tout préjudice (après son licenciement pour harcèlement sexuel et falsifications de notes de frais et avoir touché un parachute doré de 30 millions d’euros, le PDG de HP s’est fait immédiatement embaucher à la Direction d’Oracle, concurrent frontal).

En tout état de cause, ils savent bien que les medias sont heureusement dotés d’une mémoire de poisson rouge : une affaire chassant l’autre, une mauvaise réputation ne le reste jamais bien longtemps.

Face à ces sombres perspectives, que peut-on faire ?

On peut agir sur deux plans.
Au plan local d’abord. Les entreprises sont les agents économiques qui ont le plus d’influence sur la marche du monde. Il faut arriver à persuader certaines d’entre elles (pas les grosses capitalisations, mais plutôt les structures mutualistes ou coopératives et certaines PME) qu’il est de leur intérêt bien compris de se démarquer grâce à la structuration d’un dialogue permanent, sincère et efficace avec leurs parties prenantes. L’objectif est de fidéliser chacune de ces parties prenantes via la restauration de rapports de confiance, au-delà de l’enjeu réputationnel. Il est assez facile de démontrer que la mise en place de mécanismes de fidélisation crée de la valeur sur le long terme. Face à la globalisation financière, l’accent doit être mis aussi sur l’ancrage territorial (relocalisation des productions, reconstruction des liens sociaux). C’est pourquoi, cette démarche doit être menée en partenariat le monde associatif et les collectivités locales. Celles-ci disposent d’une (petite) marge de manœuvre pour mettre en œuvre des projets de développement durable. Small and local are beautiful.

Au plan global ensuite, et surtout. Car c’est la règlementation qui reste la voie royale du développement durable. Personne ne s’intéresse au prix de marché d’une molécule de CFC, destructrice de la couche d’ozone, puisque sa production a été mondialement interdite (accord de Montréal en 1987).
La loi est là pour interdire ou limiter tout ce qui produit des externalités négatives qui sont jugées insupportables par la majorité des citoyens, l’arbitrage étant effectué sur les bases de la démocratie.
Malheureusement, la règlementation ne vient généralement, au mieux, qu’après les catastrophes : il faut des Seveso, des Erika, des AZF et autres pour que quelques règles protectrices se mettent en place, bien souvent insuffisantes. L’expérience montre que le principe de précaution est rarement appliqué.
L’amiante est aujourd’hui interdite (et encore, pas dans tous les pays) parce qu’il y a eu des morts (et on sait qu’il y en aura d’autres). Certains produits chimiques ou OGM ne seront interdits que quand on aura prouvé qu’ils causent des cancers. Et encore … : l’interdiction des paris boursiers sur les fluctuations de prix, de la titrisation et des autres opérations financières, à base de produits dérivés complexes, déconnectées de l’économie réelle, empêcherait la création et l’éclatement de bulles financières dévastatrices. Pourtant, rien de tout cela n’est à l’ordre du jour, malgré la mise sur la paille de plus de 100 millions de personnes à ce jour. Idem pour les paradis fiscaux, par exemple. Car ce sont justement ceux qui font les règles, ou leurs amis, qui profitent de l’absence de règlementation.

La règlementation suppose des Etats (donc des gouvernants et législateurs) qui s’opposent au pillage organisé de la planète, agissent en garant du bien collectif et défenseur du pauvre, et ne s’occupent que de redistribuer efficacement et équitablement la valeur créée par les agents économiques. L’enjeu et la réponse sont bien politiques. Il faut donc inlassablement militer, manifester, informer, débattre, influencer, voter et faire voter pour les partis et les hommes politiques qui veulent mettre véritablement l’économie au service de tous les hommes.

24 mars 2010

Sale temps pour le développement durable ?

Echec de Copenhague (oui, il faut appeler un chat un chat : Copenhague a été un échec), climategate et recrudescence des attaques des climato-sceptiques (ou climato-cyniques ?), échec de la préservation du thon rouge, un Grenelle de l'environnement qui reste à l'état incantatoire, exit de la taxe carbone. Et voilà que la Caisse d'Epargne arrête l'étiquetage développement durable de ses produits. Doit-on en déduire que le développement durable, considéré comme un luxe, serait passé à la trappe de la crise et des dures réalités du monde d'aujourd'hui ?
Non, on assiste simplement à des démonstrations d'incompétence de la part de ceux qui nous gouvernent, une fois n'est pas coutume. Absence de vision, d'anticipation et de professionnalisme. Incapacité à formuler des scénarios pour le futur. Amateurisme en matière de gouvernance (cacophonie de Copenhague). Règne de l'émotivité sous la pression de militants écolos ou de cinéastes animaliers totalement déconnectés des réalités économiques. Tempêtes dans un verre d'eau et amplifications médiatiques. Batailles de scientifiques et d'experts (et de pseudo-experts) qui conduisent à des conclusions contradictoires ou des interpétations erronées du principe de précaution : on ne sait pas pour le thon rouge, donc on continue, on sait (ou on pense savoir...) sur le climat, donc on arrête. On arrête quoi d'ailleurs, quand on sait que la population mondiale va augmenter de 50 % et que la demande d'énergie va doubler d'ici à 2050 ? Un milliard d'êtres humains crèvent de faim et de soif aujourd'hui et des sectes dépensent une énergie folle à se battre sur le chiffre d'augmentation de la température moyenne de la terre à 2100 ? On rêve !
L'élite au pouvoir est chargée de prioriser les efforts et les investissements, en distinguant l'important de l'accessoire, et en plaçant toujours l'homme (celui d'aujourd'hui d'abord, celui de demain ensuite) au bout des chaînes d'impact. Au lieu de cela, on nous gave de discours à n'en plus finir et qui se contredisent, de vibrionisme au rythme des changements de l'opinion publique et au gré des rapports de force des lobbies. Quel spectacle affligeant ! Le pilote, comme le roi, est nu : pas de destination, pas de boussole, pas de carte, pas d'outils.
Le développement durable a l'ambition démesurée de transformer le monde. Si ceux qui nous gouvernent n'en veulent pas, le monde va transformer son développement. En un développement non soutenable, ce qui signifie clairement une absence de développement. Ce ne sont pas les écologistes qui veulent la décroissance et revenir à la bougie. Ce sont les capitalistes : quand il n'y aura plus de thons rouges (ou de n'importe quelle autre couleur, ou n'importe quel autre poisson), eh bien .....on n'en mangera plus. Tout simplement. Les riches s'en passeront et les millions de pauvres qui ne vivent que de la pêche en mourront. Tout simplement. Demain, quand il n'y aura plus de pétrole et puisqu'en l'absence d'incitations économiques ou de signal-prix, personne n'aura préparé les bonnes alternatives, eh bien... nous nous en passerons. Comme nos ancêtres. Seuls quelques très riches voyageront dans des véhicules spéciaux et les pauvres ne pourront plus se déplacer, ni accéder à l'énergie. Tout simplement. Dans le même temps où l'on ne veut pas sauver les affamés d'aujourd'hui, on crée les conditions pour démultiplier la pauvreté de demain.

Les incompétents et les cupides qui nous gouvernent méritent une leçon : on pourrait arrêter de tenir le rôle ingrat de Cassandre et laisser arriver les catastrophes. La preuve par l'absurde. Mais malheureusement, l'élite sera la dernière à en souffrir, et comme d'habitude, ce seront les plus démunis qui en feront les frais.
Sale temps pour la compétence et la solidarité. La lutte continue, camarades.

19 février 2010

Le roi Europe est nu

La question de la solidarité entre les peuples, qu’ils soient du Nord ou du Sud, est au cœur du développement durable, avant même la délicate problématique de la solidarité intergénérationnelle.
Un pays fondateur de l’Europe - après avoir fondé la civilisation occidentale - est en train de couler et l’Europe ne peut rien faire. Elle ne peut rien faire ou plutôt elle ne veut rien faire. Car l’Europe ne connaît pas, constitutionnellement, la solidarité. Interrogeons-nous sur ce que signifie une communauté pour qui la devise n’est pas « l’union fait la force », mais « chacun pour soi ». Une communauté qui écrit à chaque ligne de ses textes constitutionnels les mots compétitivité et compétition, jamais le mot coopération. Une Europe qui décide que sa banque centrale est totalement indépendante du politique et n’a donc aucune finalité de défense de sa monnaie et de son économie face à la guerre économique mondiale que mènent les autres blocs-continents et à la spéculation des traders, mais qui poursuit dogmatiquement une chimère disparue depuis quinze ans, appelée inflation. Qui a fait princes ces docteurs Pangloss de Francfort ou Bruxelles, qui nous feront périr sous le chômage et la précarité, mais en bonne santé d’inflation ? Ils sont de la même caste que les traders des banques d’affaires, qui après avoir aidé la Grèce et d’autres pays à maquiller leurs comptes, après avoir fichu la planète en l’air puis s’être faits renflouer par ces mêmes Etats, spéculent maintenant contre l’euro et contre l’Europe. Vive la dérégulation pour les canailles !

L’Europe sociale n’existe pas, le dumping social oui. L’Europe fiscale n’existe pas, le dumping fiscal oui. L’Europe de la défense n’existe pas, chaque pays dépensant allégrement des milliards pour ses propres armées, alors que les économies que génèreraient les mutualisations sont évidentes.
Il n’y a pas de politique énergétique commune, alors que les questions primordiales d’infrastructures et de sécurité énergétique exigent économies d’échelles et interconnexion des réseaux.
Non seulement l’Europe ouvre ses frontières aux grands vents de la mondialisation, mais elle force, fanatique de l’idéologie de la concurrence et de la compétition productiviste, ses membres à se tirer des balles dans les pieds et à se déchirer entre eux.
L’Europe a été absente à Copenhague, elle est inaudible sur la plupart des grands problèmes du monde. Pas de numéro de téléphone unique, pas de vision commune, une gouvernance illisible.
Et quand le suffrage universel la rejette, l’Europe revient par la fenêtre de la voie règlementaire.
Pas étonnant que, pour la grande majorité des européens, l’Europe se réduise à une armée de bureaucrates aussi incompétents que grassement payés, élevés hors sols et coupés des réalités des territoires. Ainsi qu’à une cohorte de lobbyistes chargée de retarder les réglementations qui seraient défavorables aux multinationales.

L’Europe n’a été créée que dans un seul objectif : qu’il n’y ait plus jamais de guerre entre les pays du continent. Ce qui n’a d’ailleurs pas évité les guerres des Balkans et les massacres des années 90.

L’Europe est tout simplement une communauté virtuelle, l’Europe n’existe pas, l’Europe est une fiction, une vue de l’esprit, une escroquerie intellectuelle. Ceux qui sautent comme des cabris en criant l’Europe, l’Europe, l’Europe ne sont que des illusionnistes.

Sortons de cet aveuglement collectif, réveillons-nous ! L’Europe est à inventer ! Une Europe sociale, une Europe des territoires, fondée sur les valeurs de solidarité et de fraternité, d’égalité et d’équité, de justice sociale, de développement équilibré et soutenable. Une Europe qui protège et qui unit les hommes.

12 février 2010

Ethique du conseil

Le conseil éthique, ou tout simplement le bon conseil, est celui qui privilégie l’intérêt du client par rapport à l’intérêt du conseiller. Le commerce en général et la responsabilité dans l’exercice du métier en particulier, consistent à faire converger les intérêts des deux parties, dans un échange gagnant-gagnant. L’intérêt économique du médecin est d’avoir beaucoup de malades, ou des patients qui sont souvent malades, ce qui revient au même ; l’intérêt du malade est de guérir et d’avoir à consulter le moins souvent possible, ce qui est évidemment contradictoire. Dans un pays imaginaire où les habitants seraient si bien soignés qu’ils ne sont jamais malades, les médecins seraient au chômage ! Si l’on exclut les erreurs médicales et le problème du trou de la sécurité sociale, qu’est-ce qui fait que, globalement, le système de santé fonctionne ? Réponse : la confiance et le marché. Le malade fait a priori confiance au médecin, et d’autant plus lorsqu’il estime qu’il a bien soigné ses maladies précédentes. Dans le cas contraire, il va voir la concurrence, fait fonctionner le bouche-à-oreille et les mauvais médecins ont moins de clients.

En matière financière, le conseil revêt une importance particulière et la responsabilité des banques et de leurs agents est grande. Inutile de revenir sur le point de départ de la plus grande crise économique mondiale depuis près d’un siècle : l’abus de faiblesse de la part de courtiers en crédits hypothécaires véreux vis-à-vis d’une population fragilisée et sous-éduquée. Toutes les banques et tous leurs agents ont-ils atteint l’excellence dans la prise en compte de l’éthique dans leurs prestations de conseils et de ventes ? Certains observateurs pourront citer quelques contre-exemples : cas de ventes forcées (notamment des actions issues de privatisations), cas de conseils non adaptés ou contraires à l’intérêt du client (assurance-vie pour des clients âgés de 90 ans), cas du conseiller qui fourgue les produits maison, ceux de la tête de gondole ou les promotions du mois, parce qu’il perçoit une commission, pression pour faire acheter le package dont le prix est parfois supérieur à la somme des prix unitaires des services utiles qui le composent, etc…. Moralité : l’Etat ou le régulateur ont du réglementer, souvent avec lourdeur (exemple : Directive concernant les Marchés d’Instruments Financiers), puisque les banques n’avaient pas toutes compris spontanément que l’absence d’éthique était contreproductive : insatisfaction puis défiance du client, donc infidélité.

L’éthique du conseil pose plusieurs séries de questions. D’abord, qu’appelle-t-on conseil ? On peut distinguer au moins trois niveaux de profondeur. En commençant par le simple avis, entouré de la fourniture d’informations, plus générales que personnalisées, qui engage peu celui qui le donne, ni d’ailleurs celui qui le reçoit. C’est le cas par exemple, des pseudo-conseils des sites internet de bourse en ligne : « conserver, renforcer, alléger… », qui ont assez peu de valeur. Vient ensuite l’apport d’expertise, qui doit s’appuyer sur une analyse plus personnalisée de la situation du client, afin que celui-ci dispose de tous les éléments pour prendre sa décision en toute connaissance de cause. Le niveau supérieur consiste en une recommandation précise de choix et d’action - avec les mises en garde nécessaires - qui doit se baser sur une compréhension fine des attentes et besoins du client, de la nature de ses projets, de sa relation à l’argent et de son degré d’aversion au risque : le conseiller propose « comme s’il était à la place du client ». Ce qui est évidemment impossible, tant les sensibilités sont difficiles à exprimer, les désirs et projets empreints d’incertitudes et souvent confus, dans la tête même des clients.

Deuxième question : celle des compétences respectives du conseiller et du client et du rapport de force qu’implique le conseil. L’acte de conseil présuppose généralement que le client est moins compétent que le conseiller, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas…voire quasiment incompétent sur le sujet (excluons la cas du médecin malade qui va consulter un confrère pour obtenir un effet miroir, du recul ou le croisement des avis, toujours appréciables). Comment un client incompétent en matière financière peut-il juger de la compétence de son conseiller ? D’abord, par la perception qu’il a de la pertinence des conseils donnés antérieurement. Ce qui est très difficile à évaluer. De même que le malade qui croit que les antibiotiques prescrits ont été efficaces pour un rhume d’origine virale…qui se serait guéri tout seul dans le même laps de temps, le client n’a généralement pas la possibilité de simuler une autre prescription et de faire la comparaison des résultats. Reste alors l’analyse de l’attitude et du comportement de son conseiller, en faisant jouer son sens psychologique et en évitant qu’un sentiment d’empathie ou d’antipathie ne vienne brouiller son jugement : on connaît d’excellents médecins qui sont très froids ou des commerciaux chaleureux qui sont nuls.
Le client peut-il comprendre les arguments du conseiller, même si celui-ci fait des efforts de pédagogie pour se débarrasser du jargon bancaire, parfois pratique pour masquer les réalités ? Il est de l’intérêt du conseiller de s’en assurer, ne serait-ce que pour éviter les éventuelles déconvenues ultérieures : « je n’avais pas compris, vous m’aviez mal expliqué », avec les limites floues entre la bonne et la mauvaise foi. Car l’éthique du conseilleur suppose aussi une éthique du conseillé.

La relation entre un conseiller, qui sait (ou est censé savoir…) et un client qui ne sait pas (ou croit savoir), est toujours celle d’un rapport de forces. Le bénéficiaire du conseil doit avoir conscience qu’il s’agit d’un conseil et donc accepter que le conseiller ait une influence sur lui, sur son comportement, sur ses choix. Un conseil n’est jamais neutre. Et le conseiller doit s’interroger en permanence : peut-on donner un conseil à quelqu’un qui ne le demande pas ? Ou bien doit-on donner un conseil à quelqu’un, même s’il ne le demande pas (devoir de conseil) ?

Troisième problématique : les limites entre le conseil et la vente doivent être clairement définies. Un médecin prescrit une ordonnance, il ne vend pas de médicaments. Mais on connaît tous le rôle et l’influence des visiteurs médicaux, qui peuvent faire douter de la « neutralité » de la prescription (ce n’est d’ailleurs que le pharmacien, en bout de chaîne, qui pourra « corriger le tir » en proposant éventuellement le médicament générique correspondant).
Ce qui pose la question de la rémunération : contrairement à la prescription médicale, le conseil financier n’est généralement pas rémunéré. Le modèle économique repose sur une péréquation : la vente des produits et services financiers (en général, ceux de l’établissement du conseiller, qui cumule donc les rôles de médecin et de pharmacien) qui est supposée découler du conseil. D’où la suspicion de partialité. Pourquoi ne pas alors encourager le développement de boutiques financières, totalement neutres, qui factureraient leurs conseils (au temps passé par exemple, comme les médecins ? ou bien en étant intéressées aux résultats ?), prescriraient les meilleurs produits des banques, mais n’en distribueraient aucun ?

Autre limite, celle de la confidentialité et de la discrétion : la recherche de la connaissance intime du client butte sur la frontière de la vie privée. Jusqu’où peut-on aller sans tomber dans le reproche d’ingérence dans les affaires privées du client, voire dans l’accusation pénale de soutien abusif ?

La condition du succès du conseil éthique réside bien dans la confiance réciproque établie entre les deux parties. Celle-ci s’entretient dans la durée, comme pour toute relation humaine. Ce que ne facilitent d’ailleurs pas les changements de postes perpétuels des conseillers bancaires ! La confiance n’est jamais acquise ad vitam aeternam (elle peut être retirée brutalement) et doit se nourrir de preuves continues : tel conseil donné auparavant, pourvu que la traçabilité en ait été assurée, a effectivement généré chez le client l’avantage tangible qui avait été promis.

Quoi qu’il en soit, souvenons-nous toujours que les conseilleurs ne sont jamais les payeurs…

3 février 2010

Les cinq écueils du développement durable en entreprise

Le développement durable en entreprise (ou plus précisément les démarches de responsabilité sociale et environnementale - RSE - ou plus généralement de responsabilité d’entreprise tout court), doit lutter en permanence contre de multiples ennemis internes. Tel une petite flamme de bougie au grand vent, il vacille sans cesse et manque de s’éteindre en permanence, tant la logique économique de l’entreprise s’oppose à sa progression. Le développement durable doit affronter au moins cinq principaux périls.

Le premier écueil est l’ignorance. Beaucoup d’acteurs dans l’entreprise n’ont pas le niveau de culture suffisant pour comprendre véritablement de quoi on parle. Le concept du développement durable, holistique par construction, est difficilement appréhendable par les esprits cartésiens des décideurs français. Et même au plus haut niveau, malgré le battage médiatique. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, un nombre significatif de dirigeants, le nez sur le guidon de leur compte d’exploitation trimestriel, consacrent peu de temps à réfléchir à ces questions. S’ils ont lu, dans leur jeunesse, Max Weber, Hans Jonas ou Emmanuel Levinas, leur emploi du temps a rendu totalement invisibles à leurs yeux les indispensables ponts qui relient la philosophie, la morale et l’éthique, la marche du monde, les valeurs des sociétés, et le fonctionnement des organisations humaines. On assiste alors à un réflexe régressif classique de rejet de ce que l’on ne comprend pas.

Le deuxième péril s’appelle le cynisme. Nombreux sont ceux dans l’entreprise qui pensent - et souvent le disent tout haut - que : « la fin justifie les moyens ». Ceux qui disent « on nous demande de faire le maximum d’argent dans le minimum de temps ». Ceux qui disent « nos actionnaires ne nous parlent jamais de développement durable, ils nous demandent une rentabilité de 15 % par an ». Ceux qui disent « pas vu, pas pris ». Ceux qui demandent au développement durable de faire écran de fumée pour cacher leurs turpitudes. Ceux qui disent « après nous le déluge ». Ceux qui disent « les générations suivantes seront plus riches, elles trouveront bien les solutions aux problèmes que nous auront causés ». Ceux qui disent « le développement durable est une escroquerie intellectuelle, fatras idéologique qui mélange tout ». Ceux qui disent « tout ce qui ne se chiffre pas n’existe pas ». Ceux qui disent « avec toutes les contraintes qu’on a, ne venez pas nous en rajouter ! ». Ceux qui prétendent que le développement durable est l’affaire exclusive des pouvoirs publics, garants du bien commun, et qui mettent toute la puissance de leur lobbying pour retarder les inévitables règlementations, sans chercher à les anticiper. Ils sont nombreux les utilitaristes, adeptes de logiques verticales de pouvoir et de territoires, amateurs de compétition interne et réfractaires à toute coopération.

Le troisième écueil s’appelle le conformisme. Il s’agit de limiter le sujet à la conformité aux lois, aux règlementations et règles internes. On est dans la justification déontologique : « je me borne à respecter les règles, tout le reste n’est que littérature ». Cette posture nous vient des Etats-Unis, pays où tout est judiciarisé et où triomphe le règne de la compliance, bureaucratie purement formelle qui consiste à vérifier que les processus sont bien appliqués, sans s’occuper du fonds des sujets. La compliance rend les avocats américains milliardaires, car ils obtiendront une sanction pénale moins sévère s’ils peuvent prouver que l’entreprise avait des processus et des vérifications de processus. Le fait qu’il n’y ait bien souvent pas de processus ou que les processus envoient l’entreprise dans le mur, ne concerne pas la conformité. Juste avant sa chute, Enron était parfaitement compliant.

Le quatrième écueil, c’est la communication. Le développement durable en entreprise a commencé, dans les années 2000, par la fonction communication. Il s’agissait en effet de répondre à la nouvelle loi, sous forme de rapports annuels de développement durable, où l’entreprise montrait, avec force anecdotes, verbatim, photos de collaborateurs sur fond d’éoliennes, combien tout le monde était beau et gentil. Il fallait aussi tenter de répondre aux questionnaires indiscrets et incongrus des agences de notation extra-financières. Puis, les Directeurs du développement durable se sont progressivement détachés de la fonction communication, avec l’objectif ambitieux de faire entrer le sujet dans le cœur des métiers et de la stratégie de l’entreprise. Patatras, la communication revient en force : après des années de déni et de bling-bling (lutte des brochures commerciales à paillettes contre le vilain papier recyclé), le marketing, la communication et la publicité (le trio infernal) viennent de découvrir le développement durable ! Et la ligne jaune du greenwashing est franchie tous les jours. Pour le marketing, dont la fonction est, par essence, de susciter les besoins, de pousser à la consommation et de vendre du rêve, tout est désormais vert ou durable (même la noix de Grenoble !). Et la crise actuelle aggrave les choses. Face à une perte de confiance dans l’entreprise, y compris au sein de ses propres salariés, la communication externe et interne appelle la RSE au secours de son image. On est dans le dire et le paraître, au détriment du faire et l’image n’est jamais la réalité. Rajoutez l’horrible mode du storytelling et les travers de la propagande interne ou de la manipulation d’opinion ne sont plus bien loin.

Le cinquième péril est à peu près du même ordre, c’est l’assimilation à la philanthropie. Croire, faire semblant de croire et faire croire que la RSE se limite au mécénat d’entreprise est une manière de nier et d’évacuer ce sujet contrariant. A l’instar de la philanthropie à l’américaine, avec ses galas de charité, ou bien des indulgences religieuses, qui permettent de se racheter une conscience à peu de frais, l’entreprise cherche à redorer son blason en détournant l’attention de son activité quotidienne et de ses externalités. Le détournement du mot sociétal amène à des manœuvres de diversion. Regardez comme je suis généreux envers les pauvres ou l’environnement ! Si le développement du mécénat de compétences et celui des partenariats avec des ONG doivent être encouragés, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. C’est le business qui doit être responsable.

Entre ces multiples écueils, la voie est étroite. Le Directeur du développement durable, la plupart du temps sans aucuns moyens (« le développement durable, combien de divisions ? »), sans pouvoir hiérarchique sur qui que ce soit, poursuit laborieusement sa quête de prophète en son pays, faite de frustrations quotidiennes et bien souvent d’humiliations. Couturé de nombreuses cicatrices, il doit savoir avaler les couleuvres et accepter de se faire beaucoup d’ennemis personnels. Il doit avancer souvent contre le management, en déployant des ruses de sioux pour faire générer la valeur qu’apportent responsabilité, comportements éthiques et développement soutenable, malgré les logiques économiques court-termistes. Véritable ONG interne, mouche du coche ou poil à gratter, il n’est malheureusement pas aidé par les attaques des ONG, qui par incompétence ou parti-pris idéologique, décrédibilisent souvent sa démarche de progrès continu. Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer.