Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?

Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?
Aux Editions de l'Aube

30 janvier 2010

Les retraites : un problème de développement durable, qui va durer

C’est promis - c’était prévu - le gouvernement va faire voter une loi sur les retraites en 2010. Sera-ce en juillet, pendant que les français sont à la plage ? Ou bien à l’automne, afin de se donner le maximum de temps pour préparer psychologiquement les esprits aux mauvaises nouvelles ? D’ores et déjà, les ministres, les organisations patronales, les politiciens, les syndicalistes et les media ont planté les premières banderilles. Il va falloir y passer, après des années d’atermoiements ou de fausses réformes, depuis 1993 jusqu’à 2003 (ratage de l’alignement du public sur le privé, maintien des régimes spéciaux), la démographie, puis la crise, nous ont rattrapé.

Il y a deux grands leviers pour résoudre le déséquilibre du financement des retraites par répartition : l’effet prix et l’effet volume, comme pour tout problème économique. Le volet prix se décompose à nouveau en deux branches. A : baisser les pensions. B : augmenter les cotisations. Le volet volumes se décompose lui aussi en deux. C : augmenter le nombre de cotisants. D : augmenter le nombre de « trimestres cotisés » par cotisant. Il est très vraisemblable que la solution la plus équitable et la plus efficace passe par un cocktail des quatre manettes, avec le bon dosage à trouver entre A,B,C et D. Malheureusement, les solutions panachées ont rarement la préférence du législateur, souvent empreint d’idéologie binaire, fétichiste du silver bullet (en France, on oppose par exemple le nucléaire aux énergies renouvelables, alors qu’il ne peut y avoir qu’un cocktail diversifié dans le mix énergétique et qu’il faut pousser le maximum de technologies en même temps).

La solution A va évidemment être écartée, tant le sujet de « la retraite des vieux » est tabou. Surtout quand on sait que l’électorat de la droite au pouvoir se trouve chez les seniors. Nicolas Sarkozy a donc déjà déclaré l’exclure… Or, jusqu’à ces dernières années, les retraités ont été la classe la plus privilégiée en terme de pouvoir d’achat. Le niveau de vie de nos plus de 65 ans, rapporté à celui de l’ensemble de la population (0,95) est un des plus élevés au monde (0,82 en moyenne dans l’OCDE). Grâce en particulier aux transferts sociaux (amélioration continue du minimum vieillesse notamment), le taux de pauvreté des plus de 60 ans est passé de 30 % en 1970 à 9 % aujourd’hui (13 % pour l’ensemble de la population en moyenne dans les pays de l’OCDE). Certes, les choses sont en train de changer, et les fins de carrières chaotiques, l’inflation cachée ou les coûts de la dépendance viendront peser sur les retraites. Il n’en reste pas moins que pour les classes moyennes, le patrimoine accumulé et ses revenus (par exemple ceux de l’assurance-vie, vecteur d’épargne préféré des français, véritable produit de retraite par capitalisation avec ses 1234 milliards d’euros fin 2009), face à des besoins mathématiquement décroissants (plus d’emprunts à rembourser, plus d’enfants à scolariser, train de vie inférieur…), joueraient le rôle d’édredon, si une baisse raisonnable et équitable des pensions était appliquée, avec des règles de progressivité sociale (rappelons aussi le rôle des dispositifs de reversion et que les pensions brutes versées ne sont taxées socialement qu’à hauteur de 8,1 % au maximum contre une moyenne de 22 % pour les salaires).

Le levier B ne va malheureusement pas non plus être actionné, tant la crainte de peser sur la sacro-sainte consommation est forte. Pourtant, le taux d’épargne des ménages français, parmi les plus élevés au monde, procurerait un matelas amortisseur d’une augmentation progressive des prélèvements, à consommation inchangée. Il faudrait relever les plafonds de cotisation (ou les étager en fonction des revenus), ce qui apporterait plus de justice sociale (aujourd’hui les hauts revenus cotisent proportionnellement moins que les bas). Symétriquement, relever les niveaux des cotisations employeurs doit être courageusement envisagé, malgré les cris d'orfraie du patronat, qui a déjà oublié son dernier cadeau fiscal à 8 milliards d'euros du à la suppression de la taxe professionnelle. Ce qui n'exclut d'ailleurs pas de mettre aussi à contribution le capital et la valeur ajoutée.
Accessoirement, on pourrait aussi permettre aux cadres de racheter jusqu’à 5 ans d’études supérieures, au lieu de 3 actuellement, afin de ne pas pénaliser les diplômés rentrés plus tardivement sur le marché du travail. Pourquoi ne pas autoriser également le rachat de trimestres futurs, sur base actuarielle, pour les salariés âgés qui souhaitent partir quelques années avant l’âge légal ? L’idéal serait évidemment de passer à un système à points, comme pour les retraites complémentaires, plus égalitaire et qui a l’avantage de pouvoir être modulé, en fonction de la conjoncture économique et de la pyramide des âges, via le pilotage de beaucoup de paramètres : la valeur annuelle du point, les taux de cotisation salariés et employeurs, et les taux d’appel.

La solution C est bien évidemment la clef magique : ramenez durablement le taux de chômage de plus de 10 % actuellement à 5 %, faites ainsi revenir une croissance moyenne à 3 ou 4 %, et il n’y a plus de déséquilibre ! Malheureusement, le gouvernement a perdu la clef : non seulement, il a démontreé qu'il ne savait pas lutter contre le chômage, mais bien au contraire, si on écoute les sceptiques du néolibéralisme, il a déversé de l’huile sur le feu de la mondialisation destructrice du tissu industriel.

C’est donc, par défaut, le seul levier D qui sera choisi, avec sa solution de facilité : le recul de la date de départ en retraite, alors même que le cumul actuel de deux critères totalement corrélés, le nombre de trimestres cotisés et l’âge de départ, est une aberration. Si, aujourd’hui, le taux d’activité des 55-59 ans est de 56 % (pas tellement éloigné d’ailleurs de la moyenne de l’Union Européenne à 27, qui est de 59 %), ce n’est pas parce que les seniors, devenus paresseux, s’échapperaient clandestinement du circuit. C’est parce que les entreprises n’en veulent plus et trouvent tous les moyens de s’en débarrasser. Tout simplement parce que les vieux sont statistiquement mieux payés que les jeunes. Et que les entreprises n’ont pas trouvé mieux pour réduire leurs coûts face à la mondialisation.

Les seniors vont se trouver écartelés dans une terrible tenaille : d’un côté l’Etat qui va les forcer à rester plus longtemps pour cotiser et valider leurs trimestres de retraite, et de l’autre leur employeur qui accentue la pression, génératrice de stress et de conditions de travail de plus en plus insupportables, sur une population jugée moins flexible ou moins malléable. Combien d’entreprises ont mis en place de véritables politiques seniors au temps de travail aménagé, savent valoriser l’expérience et organiser les transferts de compétences avec les jeunes, via des formules innovantes de coaching ou de knowledge management ?
Le senior « idéal », tant pour l’entreprise que du point de vue des finances publiques, serait-il celui qui craque et démissionne, perdant ainsi tous ses droits ?

Personne n’empêche aujourd’hui les héros de travailler jusqu’à 65 voire désormais 70 ans, puis de mourir parfois quelques petites années après, le « devoir » accompli (au passage, les dirigeants qui poussent dehors les vieux employés ne sont-ils pas eux-mêmes des seniors ? Demandons-nous pourquoi ils ne s’appliquent pas à eux-mêmes leurs propres arguments…).
Mais pourquoi retenir de force ceux qui en ont assez ? Chacun doit être libre de décider de s’arrêter, que ce soit après ou avant la limite arbitraire des 60 ans, à l’instar des pratiques des pays nordiques. Avec les conséquences à accepter en terme de surcote ou de décote des pensions (comme c’est d’ailleurs déjà le cas aujourd’hui : 12 % des français partent avec une surcote, 8 % avec une décote). Rallonger purement et simplement l’âge légal de la retraite (c’est-à-dire l’âge avant lequel on ne peut pas faire valoir ses droits à la retraite du régime général), solution de facilité, va causer bien du malheur ! Alors que laisser partir ceux qui le veulent (et qui le peuvent) génèrerait un appel d’air dans toute la pyramide, qui se répercuterait jusqu’aux embauches des jeunes, génération sacrifiée (le chômage des jeunes - à 25 % - , plaie insupportable, doit être la priorité numéro 1). Ainsi, la France ne peut même pas capitaliser sur le dynamisme exceptionnel de sa démographie (un des meilleurs taux de fécondité de l’OCDE).
Sans parler du travail formidable accompli par les anciens, qui se révèlent souvent et s’épanouissent dans une deuxième vie, libérés des contraintes rigides du travail subordonné en entreprise, au service des associations, des jeunes, des familles, des exclus et du bien public en général (mais travail souvent non rémunéré, donc ignoré par ceux dont l’horizon se limite au calcul du PIB).

Le système du régime général pour le privé est surréaliste : on moyenne vos 25 meilleurs salaires annuels limités au plafond de la sécurité sociale (2 885 euros par mois), et on commence par appliquer un taux « plein » de 50 % ! (Pourquoi 50 % ? Parce qu’il reste en moyenne 20 ans à vivre après les 40 ans de labeur ?). En fait, compte tenu d’une différence ubuesque de coefficients de revalorisation (l’un – pour les rémunérations – indexé sur les prix, l’autre – pour le plafond de la sécurité sociale – sur les salaires), le taux est plutôt de l’ordre de 45 %. On lui applique ensuite deux décotes : un coefficient arbitraire par trimestre manquant et une deuxième proratisation sur la durée ! En tout état de cause, celui qui aurait tous ses trimestres validés à 60 ans ne pourra jamais toucher plus de 1 300 euros par mois ! Tout ça pour ça !

Heureusement qu’il y a les régimes complémentaires à points (surtout pour les cadres, près de 20 % des salariés). Ces pensions forment de 40 % environ (non-cadre ou passage au statut cadre en deuxième partie de carrière) à 80 % (carrière de cadre supérieur) de leur retraite totale. Pour l’AGIRC et l’ARCCO, la date normative de départ à la retraite est déjà à 65 ans, non 60. Mais ils sont assujettis eux-aussi de décotes violentes en cas de trimestres manquants : s’il vous manque 2 années d’activité (soit 5 % de vos 40 années de travail), votre pension sera amputée de 10 %, s’il vous en manque 4, de 20 % ! La dégressivité n’est pas linéaire, mais quasi-exponentielle ! Les dernières années coûtent tellement cher qu’elles condamnent les seniors à adopter des stratégies de « validation de trimestres ».

La solution cible au problème des retraites passe par une réforme systémique globale appuyée sur 5 piliers. Pilier 1 : un recours équilibré à la panoplie des 4 leviers, sur le principe de la solidarité entre les générations. Pilier 2 : une fusion de l’ensemble des régimes (général et complémentaires, privés, publics et spéciaux), permettant de lisser et de compenser les différences de pyramides d’âges par secteurs d’activité, dans un système unique à points. Pilier 3 : un système notionnel (qui tient compte de l’espérance de vie et réactualise régulièrement les calculs en fonction de son évolution). Pilier 4 : une retraite à la carte (choix individuel de la date de liquidation), basée sur des coefficients de décote / surcote véritablement incitatifs et équitables. Pilier 5 : un dispositif d’incitation fiscale forte en faveur de l’épargne individuelle longue.

Après s’être mis d’accord sur la cible, il faudra imaginer les chemins de transition vers la convergence et les degrés de progressivité. Mais il n’y a absolument aucune chance d’y arriver cette année…Le problème va malheureusement perdurer encore longtemps.
L’équité intergénérationnelle et intragénérationnelle est bien au centre du développement durable.