Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?

Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?
Aux Editions de l'Aube

2 mars 2011

Sempiternel reporting RSE : au-delà de la fatigue, quels indicateurs ?

90 % du débat du microcosme du développement durable français sur la RSE se concentre sur le sempiternel thème du reporting. Au lieu de travailler sur le fond : les stratégies d’entreprises, les actions concrètes à mener pour diminuer les risques et créer un supplément de valeur durable par la transformation des business models et de nouvelles façons de manager, plus ouvertes, plus humaines, plus responsables, plus éthiques. Sans doute parce qu’il y a là un nouveau fromage pour les consultants, qui, après avoir conseillé les grandes entreprises sur leurs beaux rapports de développement durable, avec belles images d’éoliennes et beaux discours (où l’on se présente sous son meilleur jour), vont pouvoir s’intéresser au grand marché des PME, pour autant que le décret à venir du Grenelle 2, pour lequel ils déploient un lobbying intense, les y autorise.

Et sans s’être interrogé sur les finalités de ce reporting. Qui veut comparer les entreprises et pour quoi faire, dans quel intérêt ? Certainement pas les entreprises elles-mêmes : personne n’aime les concours de beauté quand il faut révéler sa face cachée. Qui lit les rapports de développement durable imposés aux entreprises cotées depuis la loi NRE de 2001 ? Réponse : personne. Sauf, peut-être, les étudiants en master de développement durable, qui savent bien manier le copier / coller. Et, bien sûr, les consultants, qui vendent leurs pseudo-benchmarks comparatifs et leurs prestations d’embellissement. Le législateur et les pouvoirs publics, qui ont pourtant imposé ces rapports extra-financiers, les classent verticalement sans les lire (enquête effectuée notamment à Bercy…). Les marchés financiers n’en ont cure puisque la Bourse est leur seul juge de paix de la performance. Les analystes de la niche de l’Investissement Socialement Responsable (2 % du marché…) eux-mêmes ne s’en contentent pas, puisqu’ils abreuvent en plus les entreprises de questionnaires détaillés, dont la pertinence est inversement proportionnelle à la longueur.

Aucune partie prenante de n’importe quelle entreprise ne lit jamais ces volumineux rapports. Les actionnaires, les clients et les collaborateurs (les seules 3 parties prenantes qui comptent vraiment) les ignorent superbement (les clients les plus attentifs ne connaissent que les étiquettes et notices sur les produits ou les comparatifs de 60 millions de consommateurs). Les ONG, qui se sont autoproclamées représentants ( ?) de la société civile, et distribuent leurs mauvais points, les considèrent, à raison, comme du greenwashing. Des animaux bizarres, comme le GRI, ONG dont la gouvernance et les règles de décision sont plus qu’opaques, prétendent détenir la vérité et veulent faire passer toutes les entreprises du monde sous la toise de leurs fourches caudines.

A peine publiée (après 5 ans de voyages autour du monde et 100 tonnes de salive pour pinailler sur chaque virgule, dépensés par des interlocuteurs qui ne représentent souvent qu’eux-mêmes), la pseudo-norme ISO 26 000, qui n’est finalement qu’un wikipedia du développement durable, donne lieu à des prestations commerciales de certification (et notamment, qui plus est, par un organisme de normalisation français…), alors qu’on avait juré ses grands-dieux qu’elle n’était pas certifiable.

Il ne peut d’ailleurs y avoir de reporting et d’indicateurs universels, tant les enjeux diffèrent selon les secteurs d’activité économiques. Demander à une banque de collecter et de consolider le nombre de m3 d’eau consommés par employé de banque, relève de la bêtise pure.

Les fervents promoteurs du reporting RSE semblent aussi avoir oublié, qu’en France, il existe un décret, en date du 8 décembre 1977, inspiré d’une pratique américaine des années 1950 (oui, cela ne date pas d’hier !), qui oblige les entreprises ou établissements dont l’effectif est supérieur à 300 personnes à publier un bilan social, après consultation du comité d’entreprise. On y trouve pratiquement tous les éléments du pilier social de la RSE : emploi, rémunérations, mixité, hygiène et sécurité, accidents du travail, conditions de travail, formation, conditions de vie dans l’entreprise, etc…
Avec un succès mitigé, puisque quasiment personne ne lit ces bilans sociaux. Et si les pratiques des entreprises en matière de RH s’étaient considérablement améliorées grâce à eux, cela se saurait et se vérifierait à l’aune du stress des collaborateurs, du nombre de licenciements ou de suicides.
Ce qui n’empêche pas nos chers consultants de réinventer l’eau chaude.

Croire que c’est par le reporting qu’on forcera les prétendus mauvais élèves à s’améliorer, relève, soit d’une grande naïveté, soit de visées à buts lucratifs.
Tant de bla-bla et que d’impostures intellectuelles pour si peu d’utilité…Toute cette green fatigue pourrait nous inciter à jeter le bébé avec l’eau du bain. Non, retenons-nous, car le fond du sujet est plus sérieux que ceux qui occupent l’espace médiatique, et prêtons-nous quand même docilement à l’exercice. Essayons de ne retenir que 21 (le chiffre de 21 est à la mode) indicateurs. Au-delà, c’est trop compliqué, donc moins opérationnel, et il faut faire des choix : on aurait pu ainsi retenir aussi le nombre et l’étendue des accords-cadre sur la RSE signés par les partenaires sociaux, qui est aussi un indicateur de bonne gouvernance.

Je vous invite donc à challenger la liste suivante, qui pourrait donner une image pas trop infidèle d’une entreprise d’un secteur industriel, par exemple. La plupart des indicateurs sont relativisés au Chiffre d’Affaires. Les évolutions de ces indicateurs seraient bien sûr à considérer sur 3 ans (la responsabilité d’une entreprise - démarche de long terme - ne peut s’évaluer à partir d’une photo des 12 derniers mois).

Proposition de 21 indicateurs de RSE

Indicateurs de gouvernance
1-Taux de satisfaction de chaque partie prenante, salariés, clients, actionnaires, fournisseurs,… (% de « Très Satisfaits »)
2- Part de la rémunération des cadres dirigeants dépendant d’objectifs ESG (%)
3- Degré de diversité (genre, origine, nationalité, âge, expertise…) des instances dirigeantes (note de 1 à 10)
4- Rapport entre le plus haut et le plus bas salaire
5-Part du périmètre d’activités (y.c fournisseurs et sous-traitants) qui a donné lieu à audit ESG suivi de plans d’actions réalisées (% du CA)

Indicateurs économiques
6- Répartition de la valeur ajoutée entre les parties prenantes (%) [1]
7- Comptabilité détaillée par filiales contrôlées et par pays, y compris la ligne impôts (EUR) [2]
8- Dépenses de R&D et innovation (/CA)

Indicateurs sociaux
9-Turnover des collaborateurs (% / an)
10-Coût des accidents et maladies du travail (/ CA)

Indicateurs sociétaux
11- Proportion de produits / services générant un bénéfice sociétal (% CA)
12- Pénalités financières, environnementales, sociales, civiles, pénales… (/CA)
13- Contributions sociétales totales (impôts + mécénat – subventions) (/ CA)

Indicateurs environnementaux
14- Consommation énergétique (MWh / CA)
15- Emissions de GES (teq CO2/CA)
16- Consommation de matières premières (tonnes/CA) [3]
17- Proportion des produits et déchets en fin de vie, recyclés ou valorisés (% tonnes) [3]
18- Part des produits fabriqués dans une démarche d’éco-conception ou de Cradle to Cradle (% CA) [3]
19- Proportion de produits / services générant un bénéfice environnemental (% CA)
20- Consommation d’eau (m3 / CA) [3]
21- Part d’eau rejetée polluée (% / consommation d’eau) [3]

[1] la partie relative aux rémunérations des salariés comprenant aussi les dépenses de formation
[2] grâce aux techniques des prix de transfert, les entreprises transnationales échappent indûment à la contribution au bien commun via l’impôt
[3] si pertinent