Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?

Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?
Aux Editions de l'Aube

12 février 2010

Ethique du conseil

Le conseil éthique, ou tout simplement le bon conseil, est celui qui privilégie l’intérêt du client par rapport à l’intérêt du conseiller. Le commerce en général et la responsabilité dans l’exercice du métier en particulier, consistent à faire converger les intérêts des deux parties, dans un échange gagnant-gagnant. L’intérêt économique du médecin est d’avoir beaucoup de malades, ou des patients qui sont souvent malades, ce qui revient au même ; l’intérêt du malade est de guérir et d’avoir à consulter le moins souvent possible, ce qui est évidemment contradictoire. Dans un pays imaginaire où les habitants seraient si bien soignés qu’ils ne sont jamais malades, les médecins seraient au chômage ! Si l’on exclut les erreurs médicales et le problème du trou de la sécurité sociale, qu’est-ce qui fait que, globalement, le système de santé fonctionne ? Réponse : la confiance et le marché. Le malade fait a priori confiance au médecin, et d’autant plus lorsqu’il estime qu’il a bien soigné ses maladies précédentes. Dans le cas contraire, il va voir la concurrence, fait fonctionner le bouche-à-oreille et les mauvais médecins ont moins de clients.

En matière financière, le conseil revêt une importance particulière et la responsabilité des banques et de leurs agents est grande. Inutile de revenir sur le point de départ de la plus grande crise économique mondiale depuis près d’un siècle : l’abus de faiblesse de la part de courtiers en crédits hypothécaires véreux vis-à-vis d’une population fragilisée et sous-éduquée. Toutes les banques et tous leurs agents ont-ils atteint l’excellence dans la prise en compte de l’éthique dans leurs prestations de conseils et de ventes ? Certains observateurs pourront citer quelques contre-exemples : cas de ventes forcées (notamment des actions issues de privatisations), cas de conseils non adaptés ou contraires à l’intérêt du client (assurance-vie pour des clients âgés de 90 ans), cas du conseiller qui fourgue les produits maison, ceux de la tête de gondole ou les promotions du mois, parce qu’il perçoit une commission, pression pour faire acheter le package dont le prix est parfois supérieur à la somme des prix unitaires des services utiles qui le composent, etc…. Moralité : l’Etat ou le régulateur ont du réglementer, souvent avec lourdeur (exemple : Directive concernant les Marchés d’Instruments Financiers), puisque les banques n’avaient pas toutes compris spontanément que l’absence d’éthique était contreproductive : insatisfaction puis défiance du client, donc infidélité.

L’éthique du conseil pose plusieurs séries de questions. D’abord, qu’appelle-t-on conseil ? On peut distinguer au moins trois niveaux de profondeur. En commençant par le simple avis, entouré de la fourniture d’informations, plus générales que personnalisées, qui engage peu celui qui le donne, ni d’ailleurs celui qui le reçoit. C’est le cas par exemple, des pseudo-conseils des sites internet de bourse en ligne : « conserver, renforcer, alléger… », qui ont assez peu de valeur. Vient ensuite l’apport d’expertise, qui doit s’appuyer sur une analyse plus personnalisée de la situation du client, afin que celui-ci dispose de tous les éléments pour prendre sa décision en toute connaissance de cause. Le niveau supérieur consiste en une recommandation précise de choix et d’action - avec les mises en garde nécessaires - qui doit se baser sur une compréhension fine des attentes et besoins du client, de la nature de ses projets, de sa relation à l’argent et de son degré d’aversion au risque : le conseiller propose « comme s’il était à la place du client ». Ce qui est évidemment impossible, tant les sensibilités sont difficiles à exprimer, les désirs et projets empreints d’incertitudes et souvent confus, dans la tête même des clients.

Deuxième question : celle des compétences respectives du conseiller et du client et du rapport de force qu’implique le conseil. L’acte de conseil présuppose généralement que le client est moins compétent que le conseiller, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas…voire quasiment incompétent sur le sujet (excluons la cas du médecin malade qui va consulter un confrère pour obtenir un effet miroir, du recul ou le croisement des avis, toujours appréciables). Comment un client incompétent en matière financière peut-il juger de la compétence de son conseiller ? D’abord, par la perception qu’il a de la pertinence des conseils donnés antérieurement. Ce qui est très difficile à évaluer. De même que le malade qui croit que les antibiotiques prescrits ont été efficaces pour un rhume d’origine virale…qui se serait guéri tout seul dans le même laps de temps, le client n’a généralement pas la possibilité de simuler une autre prescription et de faire la comparaison des résultats. Reste alors l’analyse de l’attitude et du comportement de son conseiller, en faisant jouer son sens psychologique et en évitant qu’un sentiment d’empathie ou d’antipathie ne vienne brouiller son jugement : on connaît d’excellents médecins qui sont très froids ou des commerciaux chaleureux qui sont nuls.
Le client peut-il comprendre les arguments du conseiller, même si celui-ci fait des efforts de pédagogie pour se débarrasser du jargon bancaire, parfois pratique pour masquer les réalités ? Il est de l’intérêt du conseiller de s’en assurer, ne serait-ce que pour éviter les éventuelles déconvenues ultérieures : « je n’avais pas compris, vous m’aviez mal expliqué », avec les limites floues entre la bonne et la mauvaise foi. Car l’éthique du conseilleur suppose aussi une éthique du conseillé.

La relation entre un conseiller, qui sait (ou est censé savoir…) et un client qui ne sait pas (ou croit savoir), est toujours celle d’un rapport de forces. Le bénéficiaire du conseil doit avoir conscience qu’il s’agit d’un conseil et donc accepter que le conseiller ait une influence sur lui, sur son comportement, sur ses choix. Un conseil n’est jamais neutre. Et le conseiller doit s’interroger en permanence : peut-on donner un conseil à quelqu’un qui ne le demande pas ? Ou bien doit-on donner un conseil à quelqu’un, même s’il ne le demande pas (devoir de conseil) ?

Troisième problématique : les limites entre le conseil et la vente doivent être clairement définies. Un médecin prescrit une ordonnance, il ne vend pas de médicaments. Mais on connaît tous le rôle et l’influence des visiteurs médicaux, qui peuvent faire douter de la « neutralité » de la prescription (ce n’est d’ailleurs que le pharmacien, en bout de chaîne, qui pourra « corriger le tir » en proposant éventuellement le médicament générique correspondant).
Ce qui pose la question de la rémunération : contrairement à la prescription médicale, le conseil financier n’est généralement pas rémunéré. Le modèle économique repose sur une péréquation : la vente des produits et services financiers (en général, ceux de l’établissement du conseiller, qui cumule donc les rôles de médecin et de pharmacien) qui est supposée découler du conseil. D’où la suspicion de partialité. Pourquoi ne pas alors encourager le développement de boutiques financières, totalement neutres, qui factureraient leurs conseils (au temps passé par exemple, comme les médecins ? ou bien en étant intéressées aux résultats ?), prescriraient les meilleurs produits des banques, mais n’en distribueraient aucun ?

Autre limite, celle de la confidentialité et de la discrétion : la recherche de la connaissance intime du client butte sur la frontière de la vie privée. Jusqu’où peut-on aller sans tomber dans le reproche d’ingérence dans les affaires privées du client, voire dans l’accusation pénale de soutien abusif ?

La condition du succès du conseil éthique réside bien dans la confiance réciproque établie entre les deux parties. Celle-ci s’entretient dans la durée, comme pour toute relation humaine. Ce que ne facilitent d’ailleurs pas les changements de postes perpétuels des conseillers bancaires ! La confiance n’est jamais acquise ad vitam aeternam (elle peut être retirée brutalement) et doit se nourrir de preuves continues : tel conseil donné auparavant, pourvu que la traçabilité en ait été assurée, a effectivement généré chez le client l’avantage tangible qui avait été promis.

Quoi qu’il en soit, souvenons-nous toujours que les conseilleurs ne sont jamais les payeurs…

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