Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?

Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?
Aux Editions de l'Aube

7 octobre 2010

Le Livret de Développement Durable, une appellation non contrôlée

Quel chargé de clientèle bancaire saura vous expliquer en quoi votre Livret de Développement Durable (LDD) est …« développement durable » ? C’est le point de départ du film documentaire de Jocelyne Lemaire Darnaud « Moi, la finance et le développement durable ».

En 2007, pris de fièvre verte pré-Grenelle, les créatifs de Bercy ont transformé l’ancien Codevi (compte pour le développement industriel), créé en 1983 et qui servait (soi-disant…) au développement des PME en leur accordant des prêts à taux plus ou moins attractifs (hum…), et l’ont rebaptisé Livret de Développement Durable. Quelle innovation !
Compte tenu du foisonnement de produits règlementés que les banques sont obligées de distribuer sans les avoir conçus, on peut dire que le Directeur Marketing des banques françaises habite à Bercy (les néolibéraux pensent d’ailleurs que ça a un petit arrière-goût soviétique…).

L’appellation « développement durable » accolée à ce livret d’épargne du pauvre (le plafond est de 6000 euros, il sert un taux astronomique de 1,75 %), sorte de mini-Livret A (ou de complément au Livret A pour les écureuils qui en ont atteint son plafond et sont attachés à la sécurité et la liquidité de leurs noisettes), s’apparente à du greenwashing (technique de communication trompeuse qui consiste à faire croire au consommateur que le produit à des impacts bénéfiques sur l’environnement).

Le Livret A et le LDD (de l’ordre de 240 milliards d’euros pour l’ensemble) sont assujettis aux mêmes règles de centralisation des fonds auprès la Caisse des Dépôts et Consignations, noble institution napoléonienne au service du bien public. Les fonds centralisés sont affectés au financement à taux réduit (puisque le taux de rémunération de l’épargne l’est) de la construction de logements sociaux de la France, qui en a bien besoin. C’est effectivement du domaine du développement durable (son pilier social) ; il n’y a pas plus « socialement responsable » comme produit financier que le Livret A. Mais ce n’est pas du tout ce qu’entendaient par là les géniaux inventeurs du LDD.
Les encours de LDD atteignaient 69 milliards d’euros fin 2009, plus que ce que les banquiers appellent par ailleurs l’Investissement Socialement Responsable (ISR) qui se présente sous forme d’OPCVM (50 milliards d’euros).
Les intérêts du LDD, au taux pharamineux de 1,75 % (à comparer au retour sur capital dans les banques qui avoisine les 15 %, même après le passage de la crise), ne sont pas versés par les banques mais par la CDC (donc, finalement presque par le contribuable, s’agissant d’une banque publique…), qui porte la garantie de l’Etat pour les dépôts et qui rémunère les banques (au taux de 0,6 %) pour l’effort (épuisant) de collecte de ces livrets (dans le jargon marketing on parle de produits achetés pour ces livrets, par opposition aux produits vendus).

Ces règles de centralisation sont assez opaques et en tout cas changeantes (le régime actuel est transitoire jusqu’à 2012), au gré des lois de modernisation de l’économie (sic).
Le taux de centralisation, toutes banques confondues, est aujourd’hui de l’ordre de 66 %. C’est une moyenne. Ainsi, la Banque Postale, bonne élève (mais qui ne distribue pas encore beaucoup de crédits), a choisi de centraliser 100 % des fonds à la CDC (donc, quand vous ouvrez un LDD chez elle, il sert exclusivement à aider le logement social, comme le Livret A), les banques mutualistes centralisent à 88 %, les autres banques privées à hauteur de 20 % : tous les Livrets ne sont pas également « développement durable».

Les fonds non centralisés (donc, en gros, 30 %) restent à la disposition des banques distributrices pour s’adosser, dans leur gestion d’actif-passif (ALM, Asset and Liabilities Management), à des crédits. 90% des montants doivent être consacrés au financement des PME (comme avant, avec l’ancien Codevi). Bien sûr, les PME trouvent des financements d’investissement auprès des banques, indépendamment de l’existence ou pas du LDD et du niveau de son encours.
Seuls, 10 % (quelle générosité écologique !) de ces encours doivent être consacrés à des prêts dits « verts », c’est-à-dire à des financement d’économies d’énergie dans l’immobilier ancien des particuliers. Les critères d’éligibilité, qui sont ceux des crédits d’impôts développement durable, donnent lieu à une paperasse de plusieurs kilos de formulaires, que le chargé de clientèle moyen n’a ni le temps ni le goût d’apprendre par cœur, afin de vérifier si les 2,5 cm d’isoflex annoncés par son client sont bien éligibles.

Mais qu’est-ce qu’un prêt dit « vert », dont le taux est supposé être plus attractif pour soi-disant stimuler la fameuse économie verte ? Ce n’est pas un prêt règlementé (ouf !), contrairement à l’éco-prêt à taux zéro (prêt spécial pour les riches qui ont les moyens d’effectuer de gros travaux de rénovation) ou au tout nouveau prêt à taux zéro plus (on n’arrête pas le progrès à Bercy), mais un prêt du secteur libre pour lequel les banques appliquent les taux qu’elles veulent. Allons voir sur le site internet d’une grande banque privée ce qu’elle raconte. S’agissant de prêts de montants inférieurs à 21 500 euros (barrière fixée par la réglementation), le prêt s’apparente à un prêt à la consommation standard, à taux fixe. Pour un montant de 5000 euros (prix d’une chaudière à basse consommation) et sur une durée de 4 ans, par exemple, la différence de taux entre un prêt classique, non vert (pour financer votre 4 x 4 ou votre voyage aux Seychelles, vilains !…) et un prêt vert, équivaut à l’avantage extraordinaire de 3 euros par mois (le prix d’un café). Tout ça pour ça ! Pour les prêts supérieurs à 21 500 euros (qui s’apparentent alors à la catégorie des prêts immobiliers), on vous renverra sur un simulateur de prêt immobilier classique, sans la moindre mention d’un quelconque avantage tarifaire (à découvrir, donc, avec délices auprès de votre conseiller…).

L’encours de ces prêts verts atteignait seulement 1,8 milliards d’euros fin 2009, faute de demande.
Mais il y a vraisemblablement par ailleurs quelques autres millions de financements verts, éligibles ou non, qui sont effectués via des prêts classiques ou des prêts revolving standard, car les clients ne sont pas tenus d’indiquer la nature de leurs dépenses à leurs banquiers (heureusement pour leur vie privée !). Et ces derniers ne cherchent d’ailleurs pas non plus à savoir, l’argent n’ayant pas d’odeur.

Enfin, dans une banque, l’affectation, euro pour euro, d’une ressource d’épargne à un crédit, et donc sa traçabilité, sont quasiment impossibles, car la transformation passe par la cuisine opaque de la gestion actif-passif, espèce de gros chaudron où les banques mélangent les euros en fonction de leurs degrés supposés de liquidité, ceux de leurs clients avec ceux qu’elles empruntent sur les marchés financiers du loyer de l’argent, à court, moyen ou long terme. Les euros sont fongibles et les crédits qu’elles accordent à tel ou tel client pour tel ou tel investissement (vert, brun ou de quelque couleur qu’il soit…), ne peuvent se prévaloir d’être issus de tel ou tel épargnant (qu’il soit socialement responsable ou pas).

Résumons nous : en gros, 70 % de l’épargne des LDD sert au logement social (c’est bien), 27 % finance le développement des PME (n’importe lesquelles, qu’elles soient vertes ou qu’elles polluent…), et 3 % - au mieux - sert à aider les cadres supérieurs, sponsorisés par le contribuable, à se faire poser des doubles fenêtres (que ce soit d’ailleurs pour des raisons phoniques ou climatiques…). C’est-à-dire ceux qui n’ont justement pas besoin de crédit, mais qui, issus des couches sociales favorisées, ont les moyens intellectuels de traverser le parcours du combattant consistant à trouver l’artisan de proximité compétent, capable de vous installer correctement les panneaux photovoltaïques sans casser les tuiles du toit (après bagarres avec la mairie et les Bâtiments de France…), les isolants qui vont bien ou autres équipements complexes pour lesquels il n’existe pas d’offres standardisées ni de filières professionnelles formées.

Ce n’est pas le taux du crédit qui stimulera l’économie verte, mais les professionnels compétents et les produits efficaces et accessibles au plus grand nombre.

Le développement durable est une chose suffisamment sérieuse pour ne pas la laisser aux mains décridibilisatrices du greenwashing et de l’incompétence.

1 commentaire:

Livret A a dit…

Vous avez écrit un excellent article ! Bravo et bonne continuation.