Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?

Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?
Aux Editions de l'Aube

24 décembre 2009

La responsabilité d'entreprise n'a rien à voir avec la philanthropie.

Depuis une dizaine d’années, les entreprises s’efforcent de mieux s’ouvrir sur le monde, qu’elles soient contraintes et forcées par les opinions publiques (qui leur font très peu confiance pour contribuer au bien commun) et les ONG (qui prétendent représenter la société civile), ou qu’il s’agisse de démarches volontaires, voulues par quelques dirigeants éclairés, qui ont compris qu’être en phase avec les aspirations du monde et écouter l’ensemble de ses parties prenantes (pas seulement les marchés financiers) était source de création de valeur.
Ces démarches sont jeunes, donc peu matures, les normes n’existent pas encore et les référentiels sont peu stabilisés (l’ISO 26 000 n’est qu’une première pierre). D’autant qu’elles dépendent beaucoup des contextes culturels dans lesquels les entreprises - particulièrement les multinationales - évoluent. Il est donc naturel que règne une certaine confusion dans les concepts. Cette confusion a deux sources différentes : l’ignorance et le cynisme.
L’ignorance. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, un nombre significatif d’acteurs économiques, dirigeants, responsables, le nez sur le guidon de leur compte d’exploitation trimestriel, consacrent peu de temps à réfléchir à ces questions. S’ils ont lu, dans leur jeunesse, Max Weber, Hans Jonas ou Emmanuel Levinas, leur emploi du temps a rendu invisibles à leurs yeux les indispensables ponts qui relient la philosophie, la morale et l’éthique, la marche du monde, les valeurs des sociétés, et le fonctionnement des organisations humaines. Ce déficit culturel explique largement les mélanges des genres entre développement durable (concept macroéconomique, qui s’applique mal à l’acteur microéconomique qu’est l’entreprise), responsabilité sociétale de l’entreprise (impossibilité de traduire en un seul mot le ‘social’ anglais), responsabilité sociale et environnementale (RSE), responsabilité (tout court) d’entreprise, entreprise citoyenne (comme si ce qualificatif pouvait s’appliquer à autre chose qu’à un individu)…
La responsabilité d’une entreprise, quelles que soient son activité et son utilité sociale, consiste à chercher à satisfaire au mieux chacune de ses parties prenantes (aux intérêts naturellement contradictoires) et à minimiser ses externalités négatives (cas des impacts environnementaux par exemple). L’objectif est de générer ainsi une survaleur sur le long terme et de la redistribuer équitablement, de façon à entretenir le cercle vertueux de la fidélité de ses partenaires. Cet impératif n’a rien à voir avec le mécénat d’entreprise, qui est du registre de la générosité facultative. Même si l’on peut intellectuellement classer la philanthropie dans le volet de la maximisation des externalités positives, avec l’arrière-pensée de la compensation des effets (un peu comme on le dit de la compensation des émissions de CO2).
Le cynisme. Beaucoup de décideurs et dirigeants du monde économique sont empreints d’un biais cognitif : leur croyance absolue dans l’automaticité et l’universalité des bienfaits du système libéral à base d’économie de marché et de capitalisme financier - qui les a placés là où ils sont - les empêche d’intégrer en profondeur les paramètres extra-financiers et la notion de long terme. Croire et faire croire que la RSE se limite à la philanthropie est une manière de nier et d’évacuer ce sujet contrariant. A l’instar de la philanthropie à l’américaine, avec ses galas de charité, ou bien des indulgences religieuses, qui permettent de se racheter une conscience à peu de frais, tout se passe comme si l’entreprise cherchait à redorer son image en détournant l’attention de son activité quotidienne.

Mais voilà que tout se complique. Depuis quelques années, cette saine séparation entre la poche droite (la responsabilité comme source de profit pérenne) et la poche gauche (la générosité, qui doit rester discrète) s’estompe. De nouveaux concepts, comme toujours venus d’outre-Atlantique, déplacent les frontières et introduisent un continuum : ils s’appellent bénévolat et mécénat de compétences (une manière innovante de valoriser les talents des collaborateurs, notamment ceux des seniors), partenariats ONG, financement et accompagnement des réseaux d’entrepreneurs sociaux, ‘philanthropic venture’, fonds de développement, ‘impact invest’, ‘capacity building’, base-de-la-pyramide…L’innovation sociale propose à l’entreprise de multiples voies pour renouveler ses modèles de développement. Elles vont bien au-delà des pratiques françaises actuelles, qui se limitent généralement à inciter les collaborateurs à donner de l’argent à une cause choisie par l’entreprise (comme s’ils étaient incapables de le faire par eux-mêmes dans leur vie privée)….ce qui n’est d’ailleurs en rien un indicateur d’un management responsable des employés.

Clarifier les concepts, réfléchir sur le fond des choses, s’interroger sur sa place dans la cité, développer une vision holistique du monde, remettre en cause les dogmes…sont des pré-requis indispensables à l’action de l’entreprise du 21ème siècle. Pour répondre à la demande de sens et pour reconquérir le désir des hommes d’entreprendre ensemble.

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