Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?

Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?
Aux Editions de l'Aube

17 novembre 2011

Le mythe de l'économie de fonctionnalité

L’économie de fonctionnalité propose de vendre l’usage d’un bien plutôt que de vendre le bien lui-même. C’est une belle idée. Mais quel peut être son potentiel ? Il faut partir de l’enjeu à la source : à quelle problématique veut répondre l’économie de fonctionnalité ? De mon point de vue, ce ne peut pas être à la contrainte environnementale, et particulièrement la contrainte carbone (cf. post infra « La contrainte carbone va sauter ») : elle ne peut tenir devant 9 milliards d’habitants, 10 % de croissance annuelle en Chine et en Asie, des besoins immenses à satisfaire au Sud. Il faudra aussi s’habituer à vivre avec une gestion des déchets de plus en plus lourde, donc chère. Car imaginer un recyclage complet dans une approche Cradle-to-cradle consisterait à doubler les circuits de distribution des produits via des circuits remontants et de dé-fabrication, ce qui engendrerait un énorme surcoût, difficilement supportable par les acteurs de la chaîne.

L’enjeu central à adresser reste donc celui du renchérissement des matières premières compte tenu de leur pénurie à venir. Dans un scénario business-as-usual, il aura pour effet le durcissement du clivage entre les riches et les pauvres. Ces derniers n’auront plus les moyens d’accéder à la propriété, de renouveler leurs équipements usagés, ni même de les faire entretenir (exemple du coût exorbitant et sans cesse croissant des pièces détachées des automobiles). La pénurie va affecter gravement en premier les pauvres des pays riches, puisque la majorité du volume des matières premières se trouvant dans les pays émergents (en Asie notamment), elles seront employées demain pour satisfaire en priorité leurs (immenses) besoins internes, avant leurs exportations. Un changement du système capitaliste (basé sur la croissance des volumes de biens produits) vers l’économie de fonctionnalité ne peut se produire que si les producteurs veulent continuer à adresser les marchés des pauvres et des classes populaires occidentales. Or, ceci n’a rien d’évident. On voit mal coexister deux systèmes, l’un, actuel, à base de production intensive, de qualité médiocre et d’obsolescence programmée (prioritairement destiné aux marchés du Sud), et l’autre, plus complexe, articulé autour de chaînes location - maintenance - reprise - réutilisation.

Sauf à cantonner le second système à quelques besoins très spécifiques. En tout état de cause, les univers de biens de consommation durables concernés par l’économie de fonctionnalité ne sont pas très nombreux. Il y en a principalement trois, par ordre d’importance économique décroissant : le logement, l’automobile, les équipements ménagers blancs et bruns (je ne vois pas beaucoup de potentiel dans le mobilier, les vêtements ou les objets personnels). S’agissant du logement, le système capitaliste pousse à l’achat (Sarkozy veut « une France de propriétaires »), bien que cela constitue un frein à la mobilité du travail. L’achat immobilier est perçu comme une sécurité, un placement financier (plus ou moins pertinent selon les bulles et les marchés locaux), et la constitution d’un patrimoine à transmettre. Si l’on voulait lutter contre la propriété privée, il faudrait complètement réformer la loi sur l’héritage, en le taxant fortement (en France, 95 % des successions échappent à l’impôt). Mais en tout état de cause, quelle que soit la formule promue (achat ou location), on ne répond pas ici là a question de la pénurie à venir des matières premières, car il faut bien construire des logements pour tous et, de plus, le granulat pour béton ne figure pas parmi les matériaux les plus rares.

S’agissant de la mobilité, par contre, il n’est pas impossible que, dans quelques années, des services de location de voitures très souples arrivent à séduire une part non négligeable des nouvelles générations urbaines. D’ores et déjà, grâce au Vélib’, aux taxis (service à améliorer grandement) et aux transports collectifs (à améliorer également), un certain nombre de parisiens et de banlieusards (et autres habitants de grosses métropoles) ne possède ni voitures ni vélos. Mais le compte d’exploitation de l’expérience Autolib’ sera à suivre avec attention…

S’agissant des équipements ménagers, les progrès seront limités (le lave-vaisselle et le frigidaire resteront individuels et achetés, pourvu que leur fiabilité ne diminue pas), mais on peut penser qu’un jour, les constructeurs de résidences prévoiront des machines à laver le linge collectives dans les sous-sols, comme cela se fait déjà dans beaucoup de pays anglo-saxons ou nordiques. De même, des fournisseurs de gaz fourniront aussi en même temps la location de la chaudière individuelle. A contrario, la décentralisation des moyens de production d’énergie (photovoltaïque, éolien, biomasse, …), souhaitée par les écolos, va à l’encontre des économies de matières premières et d’un service centralisé de fourniture-location d’énergie.
Enfin, peut-être que certaines TV ou équipements électroniques seront également loués.

Mais pour le consommateur, l’arbitrage restera d’ordre économique : tant que l’achat de biens matériels, fabriqués à bas coût (par des salariés de l’Est à 100 euros par mois), même renouvelés fréquemment (car de médiocre qualité), sera plus avantageux que le paiement de services (déplacements, installation, dépannage, remplacement, …) effectué par du personnel local, payé 1500 euros, l’économie de fonctionnalité restera marginale. La propriété privée, ancrée dans les gènes de nos sociétés depuis des millénaires, l’individualisme et le consumérisme, aboutissement de la modernité, sont trop forts. Et les milliards d’habitants des pays émergents aspirent à ce modèle plus que tout.

Mais pour revenir à notre objectif initial (faire face à l’épuisement des ressources), il conviendrait plutôt de s’interroger sur les composants des objets de consommation de demain et leur assemblage. Lorsque le fer et le plastique (90 % de la composition, en masse, des objets qui nous entourent) seront devenus des matériaux de luxe, il faudra bien revenir aux objets en bois, matière renouvelable …tant que l’on plantera des arbres.

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